JONSON BENJAMIN dit BEN (1572-1637)
À côté de Shakespeare, son émule et son rival, Ben Jonson est le plus important dramaturge de la Renaissance anglaise. Il naquit à Westminster School, sous la férule de l'humaniste Camden (1551-1623). Sa mère s'étant remariée à un maçon, il exerça ce métier quelque temps, puis partit guerroyer dans les Flandres (1591-1592 ?). À son retour à Londres, il se mêle au monde des théâtres, et travaille pour Philip Henslowe (1550 env.-1616), directeur du théâtre de la Rose, qui avait sa compagnie et ses auteurs. Sa vie fut fertile en tribulations : il connut la prison, pour avoir tué un confrère acteur en duel, et pour avoir raillé les Écossais dans Eastward Hoe, pièce écrite en collaboration avec George Chapman (1560-1634) et John Marston (1576-1634) ; il faillit être arrêté lors de la conspiration des Poudres (1605) et, après des années de succès, et même de gloire (il fit publier en un volume in-folio ses œuvres complètes l'année où il reçut le titre de poète lauréat, en 1616), il mourut dans la pauvreté.
L'œuvre de Ben Jonson est considérable. Il écrivit de nombreux poèmes, fit jouer près de cinquante pièces de tous les genres, comédies satiriques, tragédies classiques et pièces lyriques, appelées « masques », qui sont des divertissements de cour à grand spectacle, sur des thèmes mythologiques, accompagnés de chansons et de danses, auxquels les grands seigneurs prennent part en présence des souverains, vers qui converge l'action. À la fin de sa carrière, Ben Jonson n'écrivit plus que des « masques », nostalgiques élans vers une splendeur poétique qui allait être bientôt dépassée.
Les tragédies de Ben Jonson : La Chute de Séjan (Sejanus, his Fall, 1605) ; La Conspiration de Catilina (Catiline, his Conspiracy, 1611), pièces romaines, ne mettent pas, comme c'est le cas chez Shakespeare, le héros au centre de l'intérêt. Elles sont de structure rigoureuse (Ben Jonson était classique en la matière), mais, malgré de belles scènes, elles restent abstraites et glacées, bien que décrivant un corps politique et social corrompu qui semble se détruire de lui-même. Il leur manque la chaleur de l'imagination qui rend les passions réelles dans les pièces de Shakespeare.
Les comédies sont tout autre chose. Ben Jonson est l'inventeur et le promoteur sans rival du genre appelé « la comédie des humeurs », opposée à la comédie romanesque si brillante de Shakespeare. Les humeurs sont les quatre fluides de la vieille physiologie (sang, phlegme, bile et atrabile) dont la prédominance dans le corps détermine le tempérament. Lorsque l'équilibre est rompu, l'individu devient bizarre, baroque, pour tout dire il cultive quelque folie. Ainsi se développent les manies, les passions, les obsessions — et les porteurs de ces germes se muent en personnages de comédie. Mais cette comédie est grinçante. Satirique au plus haut point, elle n'est plus imitatio vitæ, mais la caricature de la vie. Elle fustige, elle fait souffrir, elle fait parfois horreur. Volpone (1606) en est le chef-d'œuvre. Cette comédie inhumaine, qui provoque un rire plus amer qu'amusé, est bien connue du public français. Elle a eu un succès considérable et soutenu dans l'adaptation de Jules Romains, faite d'après la version de Stefan Zweig, mise en scène de façon incomparable par Charles Dullin qui jouait Volpone, un de ses meilleurs rôles. En 1939, Maurice Tourneur l'adapta au cinéma. Louis Jouvet et Harry Baur tenaient les rôles principaux, le parasite Mosca et Volpone, le renard.
La précision des détails, la vivacité du style, l'habileté souveraine de la construction, la richesse d'une langue toute populaire, tout cela force l'admiration. Le génie robuste de Ben Jonson est parfaitement à l'aise avec ses personnages : il les manipule à son gré et leur fait porter, parfois contre le[...]
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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