SAVALL JORDI (1941- )

La famille des violes a connu pendant deux siècles une glorieuse destinée. Après avoir suscité, de la fin du xvi^e siècle jusqu'au milieu du xviii^e siècle, un répertoire immense, aussi subtil qu'émouvant, ces instruments à cordes de la famille des luths – couvrant tout l'éventail des registres ouvert entre nos modernes violon et contrebasse – étaient tombés dans un oubli quasi complet. Arnold Dolmetsch pour l'école anglaise, August Wenzinger pour l'école allemande et Wieland Kuijken pour celle des Pays-Bas feront œuvre de pionniers dans la renaissance de ces instruments. Mais il faudra toute la persévérance d'un défricheur nommé Jordi Savall pour que chante véritablement à nouveau la voix douce et émouvante de la viole de gambe et qu'afflue, par son intermédiaire, une sève printanière dans l'interprétation de toute la musique ancienne.

Jordi Savall i Bernadet naît le 1^er août 1941 à Igualada (province de Barcelone, en Espagne). Dès ses six ans, il fréquente une école religieuse, où il apprend dans les chœurs, avant même le solfège, le plain-chant et les polyphonistes espagnols. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il travaille dans un atelier textile, mais s'initie en autodidacte au violoncelle. En 1958, il entre au Conservatoire de la capitale catalane. Il s'y perfectionne jusqu'en 1966, notamment avec le violoniste Joan Massià, mais souffre de l'obsession de la virtuosité et de la dictature de l'esthétique romantique qui dominent alors l'enseignement. Malgré le désintérêt persistant de ses professeurs, il se passionne pour le répertoire de la viole de gambe – avec les pièces de compositeurs des xvi^e et xvii^e siècles comme Diego Ortiz, Christopher Simpson ou August Kühnel –, qu'il joue, faute de mieux, sur son violoncelle.

La viole de gambe, montée de six ou sept cordes, avec un manche à frettes sur une échelle de demi-tons, présente une forme proche de celle du violoncelle et s'accorde comme un luth ; elle était à l'époque une curiosité historique confinée dans les musées. Le claveciniste Rafael Puyana, que Jordi Savall rencontre en 1965, l'incite à choisir cet instrument pour faire revivre le répertoire qui lui était originellement dédié. Coup de chance inespéré, l'ensemble de musique ancienne de Barcelone Ars Musicae lui offre sa première viole de gambe et lui permet de faire ses premiers pas en participant aux enregistrements de musique ancienne qu'il réalise avec la chanteuse Montserrat Figueras – qui a étudié le violoncelle dans la même classe que Jordi Savall au Conservatoire de Barcelone et qui deviendra son épouse en 1968 – ainsi qu'avec une débutante nommée Victoria de Los Angeles. Une invitation à Paris par les Jeunesses musicales de France permet à Jordi Savall de découvrir à la Bibliothèque nationale l'importance du corpus qui est dédié à son instrument, avec des œuvres signées Monsieur de Sainte-Colombe, Sieur de Machy, Marin Marais, Marc-Antoine Charpentier, François Couperin ou Antoine Forqueray. Mais il lui faut réinventer – par l'analyse des partitions, la lecture des dictionnaires et des ouvrages anciens qui sont consacrés à l'instrument et à son répertoire – une technique instrumentale ainsi qu'un style d'interprétation authentiques. En 1968, il est admis à la Schola Cantorum Basiliensis, l'un des principaux centres européens pour l'étude de la musique ancienne. August Wenzinger le guide avec beaucoup de compréhension dans la voie très personnelle qu'il a choisie en matière de jeu, d'improvisation et d'ornementation. Il côtoie à cette époque Wieland Kuijken, Gustav Leonhardt et Alfred Deller, qui appartiennent à la première génération de la renaissance de la musique de l'époque baroque.

En 1974, un jury présidé par [...]