PARDO JORGE (1963- )
Né en 1963 à La Havane (Cuba) Jorge Pardo a émigré aux États-Unis à l'âge de six ans. Ces dernières années, il s'est installé à Los Angeles en Californie, en héritier adoptif d'une scène connue pour sa capacité d'absorption des genres artistiques. Définir cet artiste, c'est forcément tomber dans les questionnements touchant les genres, les hiérarchies, les valeurs esthétiques et de l'élaboration des critères du goût. Pour celui qui passe allègrement du design à l'architecture, du graphisme à la peinture, ces questions sont des obsessions qu'il n'a eu de cesse de travailler depuis une quinzaine d'années. En 2000, il signe des travaux les plus importants et les plus emblématiques de sa « méthode » : Project au Dia :Chelsea, Centre d'art de New York. Cafétéria, hall d'accueil, vestiaire et librairie font l'objet d'un réaménagement intensément coloré, composé d'une faïence mosaïque aux dominantes jaunes et orangées recouvrant le sol et les colonnes porteuses, d'étagères design et autre mobilier. Ce qui stimule Jorge Pardo tient d'abord au dialogue entre les formes utilitaires et contemplatives. Une manière de mettre en scène la séparation arbitraire entre l'art et la vie, l'esthétique et la fonction. Comment identifier et distinguer un meuble d'un objet d'art lorsque celui-ci est une table ? Comment engager ses réflexions à l'intérieur d'un système de diffusion profondément mercantile ? Jorge Pardo aime résister aux caractérisations et aux généralités. En 2008, il transforme l'intérieur d'un musée à Miami en maison composée de différentes pièces à vivre. Le Los Angeles County Museum of Art (L.A.C.M.A.) a déjà fait les frais d'une invitation faite à Pardo, qui s'est alors construit une maison en guise d'œuvre d'art (4166 Sea View Lane, 1998). Opportunisme ? L'artiste d'origine cubaine manie au contraire une parfaite exigence théorique dans un domaine qui d'ordinaire résiste fortement à la contestation des conventions d'usage. Sculpture, monument, architecture – sa maison conteste les statuts et les jugements définitifs. Et l'artiste d'interroger tant la souplesse de perception du spectateur que celle des institutions et du marché. La porosité entre design et art soulève ici le point crucial de l'objet multiple et de l'exemplaire unique, de la valeur du geste créatif premier et sa reproductibilité. Jorge Pardo n'édite pas ses compositions. Et lorsqu'il travaille la couleur ou les formes, c'est bien pour sonder les traditions picturales, spatiales et perceptives. « J'utilise la couleur comme un leurre. Il faut ce genre d'artifice pour être attiré par mon travail et s'y engager. » La séduction rétinienne est ici un piège. De plus, la question de l'ornement et du décoratif théorisée par Adolf Loos dans son essai Ornement et crime (1908) reste d'une actualité vive, comme en témoigne l'ouvrage d'Hal Foster, Design et crime (2002). Jorge Pardo est dans le vif du sujet, polémique et subversif, remettant en cause la question du style avec assurance.
Jorge Pardo s'inscrit dans les années 1990 aux côtés d'artistes comme Tobias Rehberger et Franz West, qui s'interrogent sur la fonctionnalité et l'usage d'une œuvre d'art. Les recherches autour de l'œuvre d'art totale conduites par les ateliers du Bauhaus dans les années 1920, ou la conception globale visant à abroger les limites entre l'art et la vie qui animait un artiste comme Robert Rauschenberg dans les années 1950 n'ont pas fini d'animer les artistes et de bouleverser les spectateurs. En 2008, le L.A.C.M.A. s'est une nouvelle fois associé à l'artiste en lui confiant l'entier réaménagement des salles de la[...]
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Écrit par
- Bénédicte RAMADE : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain
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