HUYSMANS JORIS-KARL (1848-1907)
« Un inexplicable amalgame d'un Parisien raffiné et d'un peintre de la Hollande », tel est, selon ses propres termes, le portrait de Joris-Karl Huysmans. Si l'on y ajoute une sensibilité maladive et exacerbée, une bile toujours prête à s'échauffer et à se déverser en flots de hargne et de rancune contre une époque honnie, des maux d'estomac avivés par l'infâme « tambouille » des gargotes de la capitale, fléau inévitable pour un petit fonctionnaire, on aura une approche de l'univers de médiocrité et de mesquinerie voulue où croupit une œuvre ancrée dans la réalité la plus quotidienne.
Mais c'est en esthète, au style savoureux empreint d'un relent de faisandé ou d'« échoppe d'apothicaire », en artiste amoureux de la couleur et de la lumière intimiste, qu'il dénonce les platitudes de l'existence petite-bourgeoise auxquelles on n'échappe que dans la retraite authentique du cloître où survivent les beautés non mercantiles de la liturgie et du plain-chant.
Rond-de-cuir et bénédictin
Parisien d'adoption, c'est au cœur du quartier Latin que naît ce demi-Hollandais fier de ses origines. Le remariage de sa mère ne sera guère étranger à la misogynie dont témoigne toute son œuvre et toute sa correspondance, jusqu'à la réconciliation en Marie, la mère des mères. Cette frustration affective fut renforcée par le collège, véritable Léviathan où se perpétraient toutes les injustices sociales : « la tyrannie des poings [les] plus gros [...], la rancune ignoble des pions ».
Après un baccalauréat passé avec succès commence, faute de ressources, une vie hybride d'étudiant-fonctionnaire. Une ou deux années suffisent à épuiser les joyeusetés estudiantines ainsi que la générosité familiale ; aussi Huysmans s'installe-t-il pour un bail, qui fut de vingt-cinq ans, dans le giron de l'administration. Belle fidélité à une carrière de gratte-papier dont de vertueux exemples familiaux lui traçaient la voie, interrompue seulement par un bref et peu héroïque séjour sous les drapeaux !
Accident de parcours pour certains, fin prévisible pour d'autres qui, comme Barbey d'Aurevilly, avait écrit, après la publication de À rebours, qu'il ne restait à l'auteur que « la bouche du pistolet » ou « les pieds de la croix » ; Huysmans, après avoir respiré, non sans volupté, les émanations sulfureuses du néo-satanisme, franchit en brebis repentante mais orgueilleuse les portes de notre mère l'Église. Désormais, l'histoire de son œuvre se confond avec celle de sa conversion et, fervent catholique, il s'éteindra pieusement, offrant ses souffrances pour racheter un siècle mécréant qu'il hait.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Françoise GAILLARD : agrégé de lettres, professeur
Classification
Média
Autres références
-
LÀ-BAS, Joris-Karl Huysmans - Fiche de lecture
- Écrit par Philippe DULAC
- 1 252 mots
Avec Là-bas, publié en 1891, J.-K. Huysmans (1848-1907) rompt avec le naturalisme, mouvement littéraire dans lequel il s'inscrivait depuis quinze ans et qui avait fait de lui, aux côtés d'Henri Céard, Léon Hennique et Guy de Maupassant, le compagnon de route d'Émile Zola. Certes,...
-
À REBOURS, Joris-Karl Huysmans - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
- 879 mots
Publié en 1884, À rebours est rapidement devenu un livre culte pour les générations de la décadence et du symbolisme. Pourtant, jusqu'alors, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) appartient à la mouvance naturaliste. Il a collaboré aux Soirées de Médan (1880) et fait partie du petit groupe...
-
CRITIQUE D'ART EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE
- Écrit par Christine PELTRE
- 6 622 mots
- 5 médias
...littéraire, et donc échapper au strict objectif d'une évaluation esthétique. S'opposant à Zola, après un engagement naturaliste à ses côtés, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) entrevoit d'abord dans la peinture de Gustave Moreau la légitimité d'un tel revirement, après quelques tâtonnements avant-coureurs... -
DES ESSEINTES
- Écrit par Antoine COMPAGNON
- 485 mots
Personnage de À rebours (1884), roman avec lequel Huysmans se sépare du mouvement naturaliste pour prendre place auprès des décadents. Le duc Jean Des Esseintes, dont le modèle fut peut-être Robert de Montesquiou, le même qui devint plus tard, chez Proust, monsieur de Charlus, est un héros solitaire....
-
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XIXe s.
- Écrit par Marie-Ève THÉRENTY
- 7 758 mots
- 6 médias
...le symbolisme. Quant au naturalisme, il trouve avec Émile Zola (1840-1902) un chef de file impressionnant mais les partisans majeurs du mouvement – Guy de Maupassant (1850-1893), Joris-Karl Huysmans (1848-1907) – se dispersent rapidement. Pour la postérité, ces dénominations aident à prendre conscience... - Afficher les 9 références