JORN ASGER JØRGENSEN dit ASGER (1914-1973)
Dire du Danois Asger Jorn qu'il est peintre ou sculpteur ne saurait en aucun cas donner la mesure de l'activité prodigieuse de ce « vandale héréditaire, péninsulaire, ingénu et hilare », de cet « innocent génie de la vie sans procès » évoqué par Jacques Prévert. « Invoquant sans faillir, écrit son ami Jean-Clarence Lambert, pour les autres et pour lui-même la liberté d'essai, d'épreuve et d'expérimentation », Jorn est aussi, et en même temps, poète, musicien, animateur, muséologue, sociologue, archéologue et esthéticien.
Cofondateur de Cobra en 1948, il lance quelques années plus tard, en réaction contre le New Bauhaus d'Ulm que dirige Max Bill, le Mouvement pour un Bauhaus imaginiste dont devait naître, en 1957, l'Internationale situationniste. Créateur à Silkeborg d'un Institut de vandalisme comparé, il y a groupé une importante documentation sur les mythes et les cultes populaires. Auteur de textes érudits sur l'esthétique, la pensée magique, le fonctionnalisme qu'il combat, il les réunit dans Pour la forme (1948) et, citant Gaston Bachelard, il écrit : « On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former les images. Or, elle est plutôt la faculté de déformer des images fournies par la perception. » On lui doit également La Roue de la fortune (1957), méthodologie des cultes populaires à partir du déchiffrage des célèbres cornes d'or danoises ; Les Signes gravés sur les églises de l'Eure et du Calvados, où l'on retrouve pêle-mêle une réhabilitation du vandalisme, l'élaboration d'un « principe triolectique de la complémentarité » et l'admission à part entière du graffiti dans l'histoire de l'art ; ainsi que cette étonnante encyclopédie, écrite en collaboration avec Noël Arnaud, La Langue verte et la langue cuite (1968), où Jorn est un des premiers à dénoncer et à critiquer le tout-puissant structuralisme.
Peintre, Jorn s'inscrit dans la ligne de l'expressionnisme nordique, celui de Munch, de Nolde et de Kokoschka, mais d'un expressionnisme poussé jusqu'au paroxysme le plus violent, jusqu'au délire le plus absolu, celui qui, rejetant toutes les figurations, n'en aurait gardé que les termes les plus symboliques, les plus abstraits et les plus aptes à montrer le désespoir, le déchirement, la dérision et l'égarement d'un monde. Parti dans ses premières œuvres d'un certain naturalisme, Jorn l'abandonne pour l'abstraction et la pratique de l'automatisme gestuel qu'il emprunte au langage de Dada et du surréalisme. Prônant le retour à la spontanéité populaire et au patrimoine préhistorique, folklorique et mythologique du Danemark, Jorn puise son inspiration dans le sentiment d'une nature vivante et riche dont il tente de restituer la vision originelle. Doué d'une extraordinaire capacité d'imagination et d'un sens prodigieux des métaphores, Jorn jette sur la toile, dans un affrontement répété, par le truchement d'une couleur violente, pétrie et malaxée à l'extrême, les fantasmes agressifs et provocateurs d'une vision à la fois humoristique et tragique du monde (Vision rouge, 1944, musée royal des Beaux-Arts, Copenhague ; Un visage suffit à nier le miroir, 1948, musée de Silkeborg ; Pastorale honteuse, 1952, musée royal des Beaux-Arts, Copenhague ; Champs rouges, garçons verts, 1968, musée Louisiana, Humlebaek). Sculpteur dans les dernières années de sa vie, c'est avec le même élan spontané et la même liberté d'imagination que Jorn affronte le bronze et le marbre. Partant, là aussi, de la tradition primitive des mythologies nordiques, il retrouve dans la sculpture le même sens d'un rapport fondamental d'identité entre l'homme et la nature.
Quelle qu'elle soit, dans quelque démarche[...]
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Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
Classification
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