PIRES JOSÉ CARDOSO (1925-1998)
Tant par la constance de ses prises de position vigoureuses dans la vie publique de son pays – contre Salazar, le colonialisme, ou la censure –, que par son œuvre qui marque un tournant dans l'histoire du roman portugais contemporain, José Cardoso Pires peut être considéré comme une des grandes figures lusitaniennes de la seconde moitié du xxe siècle. Né au village de Peso, dans la Beira Baixa, dont sa famille maternelle était originaire, il revient tout enfant avec sa mère à Lisbonne, dont il ne s'éloignera qu'à l'occasion de voyages ou de périodes d'exil à Paris ou à Londres.
Lycéen rebelle, étudiant peu assidu, ainsi qu'il le reconnaîtra lui-même, José Cardoso Pires se forme à l'école de la rue et des lectures solitaires puis, après une brève expérience dans la marine marchande suivie de divers métiers, il publie en 1949 son premier livre, Sur la route et autres nouvelles (Os caminheiros e outros contos) qui, bien accueilli par la critique, va décider de sa vocation. Mais la censure saisit dès 1952 son second recueil, dont il pensait qu'il passerait inaperçu des autorités sous le titre anodin d'Histoires d'amour (Histórias de amor). Il reprendra néanmoins plus tard les meilleurs de ces récits dans Jeux de hasard (Jogos de azar, l963), livre bilan de cette première étape, où se forge l'art du nouvelliste, encore empreint du néo-réalisme de ses devanciers immédiats comme Alves Redol, mais qui regarde aussi du côté de Steinbeck et, pour la narration en prise directe, prend des leçons chez Hemingway, à qui Cardoso Pires se plaira toujours à rendre hommage.
Son art personnel s'affirme avec éclat dès son premier roman, L'Ange à l'ancre (O Anjo ancorado, 1958) où, après avoir mesuré les limites de l'esthétique précédente, il rejette expressément dans une note finale « toute préoccupation documentaire ». Si le roman devient une fable, ce ne sera au service d'aucune thèse préconçue. Venant de la grande ville, un quadragénaire et une jeune femme vont passer une journée au bord de la mer, en marge d'un village de pêcheurs. Ces deux mondes se côtoient sans se rencontrer vraiment, ces deux êtres partagent un moment de leur vie sans parvenir à un accord véritable. L'homme a eu jadis des velléités d'action politique ; par la suite héritier d'une entreprise familiale, il a renoncé et se contente d'observer. La jeune femme se veut indépendante, échappant aux contraintes éventuelles d'un foyer, mais tandis que son compagnon se livre à la chasse sous-marine au mérou, elle ne peut que rester sur place, « à l'ancre » dans la voiture de sport qui les a conduits là. C'est derrière la conversation et sous les actes anodins décrits en phrases sèches et brèves que le lecteur devra chercher le sens. À cette seconde période appartiennent aussi des romans tels que L'Invité de Job (O Hóspede de Job, prix Camilo Castelo Branco, 1963) et Le Dauphin (O Delfim, 1968), que beaucoup considèrent comme le chef-d'œuvre de son auteur. Dans l'Alentejo du chômage et de la grande propriété, Job est un ouvrier agricole qui va être amputé d'une jambe à la suite d'un exercice de tir où un officier américain fait une démonstration de matériel d'artillerie à ses collègues de l'armée portugaise. La beauté du livre tient à sa couleur volontairement ingénue, empruntée à la littérature de colportage, à ces anciens récits d'almanach qui, dans la bouche d'un vieux villageois, constituent le contrepoint de la fiction. Dernier rejeton d'une lignée de hobereaux, devenu ingénieur agronome pour s'adapter à l'air du temps, Tomás Palma Bravo – le Dauphin, entre sa Jaguar et ses chiens – n'en reste pas moins viscéralement attaché au système patriarcal. Les ravages du machisme provoqueront la mort de sa femme et de son domestique. Le drame est reconstitué un an après[...]
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Écrit par
- Jacques FRESSARD : ancien maître de conférences à la Sorbonne, université de Paris-IV (études ibériques et ibéro-américaines)
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