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HERNÁNDEZ JOSÉ (1834-1886)

Le « Martín Fierro »

Le poème Martín Fierro est le récit, fait par le protagoniste, des aventures d'un gaucho. On y voit Martín Fierro dans le calme de sa vie campagnarde et familiale. Embrigadé de force dans les troupes régulières chargées de pacifier la pampa saccagée par les incursions indiennes, Martín Fierro doit quitter son foyer. À son retour, quelques années plus tard, son rancho a été détruit et sa famille dispersée. Il vit alors en solitaire, se bat en duel au couteau, tue et, pour échapper à la police, va chercher refuge parmi les Indiens insoumis. Ici se termine la première partie du poème. Dans la seconde, Le Retour de Martín Fierro (1879), le gaucho délivre une captive blanche, s'évade du territoire indien et revient vers la « civilisation » où il retrouve ses enfants, déjà grands, à qui il prodigue les conseils que lui inspire son amère expérience. Alors que la première partie du poème est d'une forte intensité dramatique, dans la deuxième l'action se ralentit à l'extrême, et le personnage principal s'estompe pour faire place aux récits des personnages secondaires. La vivacité de l'action disparaît au profit de longues digressions morales. Le premier volet était un réquisitoire contre l'injuste sort fait au gaucho ; le second est presque une acceptation indifférente de l'ordre nouveau qui met fin à l'âge d'or de la vie gauchesque. Plus qu'à l'intrigue, somme toute assez banale, l'originalité du poème tient à l'habileté d'une versification sans artifices ostentatoires, à l'emploi pertinent du langage populaire gaucho et à l'exactitude de la psychologie de ce type dans lequel tant d'Argentins se sont reconnus. Ces traits ont été déterminants pour faire du Martín Fierro une œuvre éminemment populaire. Le public de l'époque ne s'y est pas trompé : en six ans, la première édition atteignit un tirage de 48 000 exemplaires, chiffre considérable en Amérique latine, même de nos jours.

À la mort de José Hernández, une notice nécrologique annonce : « Le sénateur Martín Fierro est mort. » L'auteur est éclipsé par le héros qu'il a créé. Hernández lui-même en avait conscience : « Je suis un père à qui le fils a donné son nom. » Pourtant, en écrivant son poème, Hernández ne se doutait pas qu'il touchait à ce point la réalité intime de l'Argentine. Les générations successives de critiques l'ont analysé pour y trouver, suivant le cas et l'époque, une ballade folklorique, une geste historique, une sorte de bible nationale ou un manifeste contestataire. Certains esprits studieux se sont extasiés sur l'exactitude des éléments zoologiques, folkloriques et linguistiques du poème. Lugones voit dans le Martín Fierro une épopée nationale, tandis que Borges soutient paradoxalement qu'il s'agit d'un roman. Martínez Estrada se livre à la psychanalyse d'Hernández et, à travers lui, de l'homme argentin. La jeune critique met plutôt l'accent sur le contenu social de l'œuvre, et l'actualise en faisant de Martín Fierro un homme révolté contre une société aliénante. Malgré ces divergences d'appréciation, hautement significatives quant à la portée de l'œuvre, tous sont d'accord pour lui attribuer, non sans une certaine nostalgie, une argentinité exemplaire.

— Jean ANDREU

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Écrit par

  • : professeur agrégé d'espagnol, maître assistant à l'université de Toulouse-Le-Mirail

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