LEZAMA LIMA JOSÉ (1910-1976)
Le 9 août 1976, José Lezama Lima, le gros homme au cigare, asthmatique et affable, meurt d'une pneumonie dans un hôpital de La Havane, à soixante-cinq ans passés. Avec lui disparaît un poète, un essayiste, un nouvelliste, un romancier d'une densité et d'une envergure exceptionnelles. Il représentait, aux yeux de beaucoup d'écrivains latino-américains, une figure tutélaire d'une créativité inépuisable et d'une culture prodigieuse. Ce Valéry tropical, qui n'a pratiquement jamais quitté son île natale au cours de sa vie d'adulte (sinon pour de très courts voyages, une fois au Mexique, l'autre à la Jamaïque), avait la même vocation « universaliste » que Jorge Luis Borges, la même volonté d'imposer la culture à la nature, le savoir à l'anecdote, l'image au réel. Depuis Góngora, les lettres hispaniques n'avaient jamais connu pareille puissance métaphorique.
Le vertige poétique
Cette parenté avec l'illustre poète cordouan a fait que très longtemps la poésie de Lezama Lima a été qualifiée d'hermétique, et qu'elle n'a guère dépassé les limites d'un petit cercle d'initiés et d'amis havanais. Ce fils d'un officier de l'armée cubaine mort à trente-trois ans, et d'une descendance d'émigrés espagnols, met à profit la parenthèse qui s'ouvre dans la vie de l'île avec la dictature de Gerardo Machado pour se plonger dans les livres, mêlant et superposant ses lectures, entre lesquelles il établit souvent d'étranges et de fructueux rapports. Chez Lezama Lima, l'érudition est une porte ouverte sur l'imaginaire et le mythe ; comme le soulignera Severo Sarduy, un de ses plus fervents admirateurs et, en grande partie, son éditeur en France, « son histoire, son archéologie, son esthétique sont délirantes ». Si la poésie cultiste espagnole le fascine, il assimile et « repense » également Mallarmé, Valéry, Rimbaud, Lautréamont, Claudel, les classiques du Siècle d'or et les mystiques orientaux. Des affinités particulières le lient à Proust, mais, précise-t-il avec clairvoyance, « de Proust me sépare la thématique. Le thème de Proust c'est le temps et le mien c'est l'image ». En 1936, il s'entretient longuement avec le poète espagnol Juan Ramón Jiménez, qui séjourne à Cuba de 1936 à 1939, et trouve là l'occasion de proposer une théorie particulièrement stimulante de l'insularité.
C'est aussi à cette époque qu'il participe à la création de la revue Verbum (1937), qui sera suivie de Espuela de Plata (1939-1941) et de Nadie parecía, publications entièrement consacrées à la littérature. À l'université de La Havane, où il s'est inscrit en droit en 1929, il se lie d'amitié avec un groupe de poètes : les sœurs García Marruz, Cintio Vitier, Eliseo Diego. « J'ai toujours été agglutinant et convergent, déclarera-t-il plus tard. Aussi bien pendant mes années d'école primaire qu'à l'université, j'ai toujours recherché une solution chorale. Quel que fût l'endroit où je me trouvais, je m'attachais à créer un groupe culturel, une revue, etc. » Et cela en dépit de l'inculture régnante, des difficultés économiques ou des contraintes familiales. En 1944 il publie, en compagnie de José Rodríguez Feo, la revue Orígenes qui, jusqu'en 1956, sera un véritable phare culturel pour Cuba et l'ensemble du continent latino-américain. Des textes de Camus, Virginia Woolf, Aragon, Anaïs Nin, Macedonio Fernández, T. S. Eliott... y voisinent avec ceux des contemporains de Lezama Lima et d'écrivains cubains plus jeunes, comme Roberto Fernández Retamar. Ajoutons que l'illustration de couverture est périodiquement assurée par quelques-uns des plus grands peintres cubains et latino-américains[...]
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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