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LEZAMA LIMA JOSÉ (1910-1976)

L'assomption baroque : « Paradiso »

En 1959, après le triomphe de la révolution castriste, il est appelé à occuper des postes publics, qu'il refuse de politiser, ce qui va entraîner sa marginalisation. En 1961, la famille se désunit et quitte Cuba ; seuls Lezama et sa mère, qui meurt en 1964, restent dans l'île. Sa correspondance – les lettres à sa sœur Eloisa et à diverses personnes, d'abord publiées en 1979, sont reparues en 1997 avec une émouvante Préface du dramaturge José Triana – témoigne du désarroi qui s'empare de l'écrivain devant l'éclatement de sa famille et l'isolement de plus en plus grand dans lequel il se trouve. En 1970, il réunit ses essais et ses études critiques sous le titre La Cantidad hechizada. Il se consacre totalement, au prix d'une existence très modeste, à l'écriture ; en 1971, l'affaire Herberto Padilla, du nom de l'écrivain censuré par le régime cubain et obligé de faire son autocritique, amène Lezama Lima à se retrancher dans sa maison. Le succès de Paradiso ne parviendra pas à endiguer son déclin.

En effet, le livre qui a véritablement fait connaître Lezama Lima est une énorme somme poético-romanesque, Paradiso, publiée en 1966, mais vraisemblablement commencée quinze ou seize ans plus tôt. Le noyau de cette nébuleuse, quoi qu'ait pu en dire l'auteur, est fortement autobiographique. Le personnage principal, José Cemí – le nom n'est pas choisi au hasard : « cemi » est le nom des idoles caraïbes antérieures à l'arrivée des Espagnols, et Paradiso est le roman de la remontée vers l'origine – passe par trois phases successives : l'époque « placentaire » de submersion dans le milieu familial, puis le temps de l'amitié et de l'ouverture sur le monde extérieur, enfin l'entrée en poésie, la pénétration dans l'univers des archétypes, à la recherche de « l'image ». « Paradiso, notait Julio Cortázar, un des principaux artisans de la publication du livre, pourrait ne pas être un roman, autant à cause de l'absence d'une trame conférant sa cohésion narrative à la multiplicité vertigineuse de son contenu que pour d'autres raisons... » Devant ce miroir du visible et du non-visible se déroule la chronique de l'éducation poétique et sentimentale d'un jeune Havanais vivant il y a soixante ans. Le fameux chapitre ix, qui raconte les ébats érotiques de José Cemí, a fait couler beaucoup d'encre et déclenché les foudres des censeurs de tout poil, mais sa grâce humoristique a également suscité des vocations chez de jeunes écrivains, comme Zoé Valdés. Jeu verbal, prolifération baroque, métamorphose érudite, carrefour de tous les mythes, Paradiso est porteur de sa propre géologie culturelle, dont Lezama Lima répertorie et bouleverse les strates avec une jubilation qui ne se dément pas jusqu'à la fin du roman.

L'écrivain cubain a également laissé à sa mort un roman inachevé, Oppiano Licario, qui a été publié en 1977, à la fois au Mexique et à Cuba. Licario est un des personnages de Paradiso, « une figure archétypique, selon Lezama, qui représente la destruction du temps, de la réalité et de l'irréalité [...] il est la connaissance infinie ». Avant de disparaître, il avait ouvert à José Cemí la porte de l'image, de la poésie, « du royaume des archétypes ». Le second roman de Lezama, truffé d'observations sur la peinture contemporaine – l'admiration de Lezama Lima pour le douanier Rousseau s'y confirme –, revient à la période antérieure à la mort de Licario pour, une nouvelle fois, gloser sur la primauté de l'image et du sexe : « Une métaphysique de la copulation serait la seule grande création possible face à la destruction totale qui s'approche », écrit un des personnages. Lezama Lima y affirme à nouveau son aspiration à une littérature où « chaque[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

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