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ALBERS JOSEF (1888-1976)

L'expérience américaine

En effet, en 1933, le Bauhaus, n'acceptant pas les exigences des nazis, ferme ses portes. Albers est invité par cette autre pépinière artistique qu'est le Black Mountain College en Caroline du Nord. C'est là qu'il se lancera dans ce qu'il considère comme « sa contribution », l'exploitation des richesses de l'interaction de la couleur : l'ouverture en est sans doute la série des Clefs de Sol (1933-1935), toutes de format et de motif rigoureusement identiques, conçues comme une démonstration des infinies propriétés colorées du noir, du gris et du blanc. Si parfois dans les tableaux de cette époque Albers n'élimine pas encore les hasards de la texture, il a déjà choisi d'appliquer son pigment directement à la spatule, sur masonite (support dur, qui évite les bavures). L'exécution deviendra progressivement de moins en moins aléatoire, comme la dernière tâche, la moins importante, après tout un long processus de mise en jeu de la couleur au moyen de papiers découpés. Parallèlement, Albers travaille à ses « dessins tectoniques » en axonométrie. Cette manière de perspective flottante inventée en Chine, sans point de fuite, à récession parallèle, qui permet d'exploiter figuralement tous les doutes perceptifs sur lesquels travaillaient les gestaltistes, est utilisée aujourd'hui par les architectes après que des peintres comme Lissitzky leur en eurent montré l'efficacité. Toute cette amphibologie visuelle dans l'œuvre graphique d'Albers se fonde sur des procédés tels que la réversibilité symétrique, l'interchangeabilité des volumes (concave/convexe), la polyvalence des fonctions attribuées au même contour que se partagent des plans hétérogènes et exclusifs les uns des autres, ou l'interaction des plans transparents. Mais dans ses Hommage au carré (qui sont plutôt, comme il le dira lui-même, le carré étant choisi pour sa banalité, des « hommages à la couleur »), Albers allait retrouver sans aucune intervention graphique ce dodelinage fondamental (avant/arrière, profondeur/relief) de l'axonométrie que Lissitzky avait en son temps parfaitement étudié.

Parti de l'expérience de Cézanne (qui avait fissuré, bien plus que le système perspectif de la Renaissance, l'ordre linéaire qui le permettait, et donné à la couleur un rôle structural), Albers, qui la commente remarquablement dans ses écrits, analyse le comportement des couleurs entre elles, pense leur agencement : comment mollit une limite que « trace » la jonction de deux tons proches, comment se réveille un terre-de-sienne à côté d'un noir, comment naît une illusion de transparence par simple juxtaposition de différentes valeurs d'une même teinte, etc. « La couleur est le moyen le plus relatif en art », expliquait-il. Le départ de cette série à laquelle Albers travailla jusqu'à la fin de sa vie (à New Haven en 1976) est contemporain du début de son enseignement à Yale (1950), qui a donné lieu, en 1963, à la publication de Interaction of Color (L'Interaction des couleurs, Hachette, Paris, 1974). Cet ouvrage, composé de deux cents planches sérigraphiées (travaux d'étudiants) commentées par Albers en un texte qui demeure l'un des plus denses et des plus intelligents de l'histoire de l'art du xxe siècle, est l'une des références les plus directes de tout l'art américain depuis 1950.

— Yve-Alain BOIS

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

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