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GOBINEAU JOSEPH ARTHUR DE (1816-1882)

Le cas de Gobineau est sans doute unique dans l'histoire de la pensée française : son œuvre, absolument méconnue dans son propre pays, a d'abord rayonné en Allemagne grâce à un biographe passionné, L. Schemann, et sous l'impulsion première de Richard Wagner, admirateur de son poème d'Amadis (1876). Ses boutades contre la France du second Empire, prises au pied de la lettre, l'ont rendu suspect de pangermanisme, alors que, jusque dans ses défauts, il est insolemment français. Personnage remarquable par la multiplicité de ses dons : poète et journaliste, orientaliste, diplomate, romancier, il n'est guère de domaine de l'art et de la pensée où il n'ait déployé avec superbe une activité un peu brouillonne d'autodidacte. Son abondante correspondance révèle l'observateur attentif de son temps. Les thèses de son Essai sur l'inégalité des races humaines, mal interprétées, accréditant l'idée qu'il fut l'un des inspirateurs du racisme, lui ont valu une réputation de mauvais aloi dont on commence seulement à le décharger.

Bien plus que philosophe ou historien, Arthur de Gobineau apparaît aujourd'hui comme un lyrique, un rival de Mérimée dans la nouvelle, un psychologue que son art de romancier place dans le sillage de Stendhal.

Un condottiere de plume sous la monarchie de Juillet

Joseph Arthur de Gobineau est né à Ville-d'Avray, dans une famille d'origine bordelaise dont il exagérera la noblesse, s'attribuant sans droit, à partir de 1853, le titre de comte. Son père, officier retenu par la guerre en Espagne de 1823 à 1828, ne pouvant surveiller son éducation, il fut élevé par sa mère. Celle-ci, aventurière romanesque, après des démêlés avec la justice, dut se réfugier en Suisse, puis au pays de Bade, d'où le décousu de la formation de son fils. Le jeune Gobineau souffrit cruellement de la désunion de sa famille, et il puisa dans cette souffrance le pessimisme qui imprègne son œuvre.

En octobre 1835, il arrive à Paris, en quête d'emploi, se pousse dans les salons légitimistes, cherche sa voie en condottiere avec un petit groupe d'amis décidés à réussir, les Cousins d'Isis (1840). Il s'essaye à la poésie. Tout en suivant en amateur des cours d'orientalisme, il collabore aux journaux royalistes, traite de critique littéraire au Commerce (1844), de politique étrangère à La Quotidienne, et écrit plusieurs romans : Le Prisonnier chanceux (1846), Ternove (1847), L'Abbaye de Typhaines (1848) qui ne manquent pas d'une verve un peu facile.

Il a pourtant des ambitions plus hautes que celle d'un feuilletoniste, rêve d'une carrière politique. Dès 1841, il écrit pour La Revue des Deux Mondes une étude sérieuse sur Capo d'Istria ; en 1843, Alexis de Tocqueville lui confie un travail sur les idées morales au xixe siècle ; de 1847 à 1849, il dirige La Revue provinciale qui lutte contre la centralisation excessive en France. En juin 1849, Tocqueville, devenu ministre des Affaires étrangères, le nomme chef de son cabinet d'où il sort, en novembre, secrétaire d'ambassade. En poste à Berne, puis à Hanovre, il compose l'Essai sur l'inégalité des races humaines, dont la première partie paraît en 1853 et la seconde en 1855. Le jeune condottiere gascon, émule du Rastignac balzacien, a enfin trouvé l'orientation de sa pensée.

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Écrit par

  • : professeur émérite à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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