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GOBINEAU JOSEPH ARTHUR DE (1816-1882)

De l'anthropologie à l'épopée

L'Essai sur l'inégalité des races humaines développe une sombre philosophie de l'histoire. Gobineau constate que toutes les civilisations ont fini par la décadence : ce phénomène universel ne s'explique selon lui ni par la volonté de Dieu, comme le pensait Bossuet, ni par le relâchement des mœurs comme l'ont affirmé tous les moralistes, ni par l'action du climat supposée par Montesquieu. La cause du mal réside en l'homme même : à l'origine du monde, les races, d'ailleurs inégalement douées, étaient pures, mais le mélange des sangs a ravalé les meilleures au rang des pires. Loin de croire que l'humanité soit perfectible à l'infini, l'avenir la verra s'abrutir de plus en plus dans la déchéance des métissages. Cette thèse posée, Gobineau l'illustre par une histoire fantastique du genre humain ; il montre comment les Aryans primitifs, la plus noble des races, partis de l'Asie centrale, se sont noyés au cours de leurs migrations dans les flots impurs des Noirs et des Jaunes. Vision grandiose qui atteint souvent à l'épique : car malgré ses prétentions à la science – sa documentation incertaine surprend à l'époque de l'histoire positiviste – c'est une épopée romantique qu'il écrit, analogue dans son élan, contraire dans ses conclusions, à La Chute d'un ange et à La Légende des siècles. Ce contemporain de Taine et de Renan est un poète maudit pour qui l'histoire raconte la décrépitude fatale des nations. On voit combien il est loin du « racisme » contemporain : le paradis qu'il situe au pays des Aryans, perdu depuis des millénaires, est à jamais inaccessible et la race des seigneurs pour toujours abolie. Tout au plus admet-il que, dans l'abjection des foules, « des conjonctions fortuites » peuvent créer des individus qui conservent par miracle l'originelle pureté, ceux qu'il nomme, dans Les Pléiades, les « fils de roi ». Mais ces êtres exceptionnels ne sauraient interrompre la décadence de l'espèce livrée à l'aveugle déterminisme du sang.

Désormais, la pensée de Gobineau ne variera plus. La thèse de l'Essai inspire tous ses ouvrages, soit qu'à la faveur de deux missions diplomatiques en Iran (1855 et 1861) il décrive le berceau des Aryans primitifs dans de vivants reportages (Trois ans en Asie, de 1855 à 1858, 1859 ; Les Religions et les philosophies dans l'Asie centrale, 1865), ou dans des travaux d'une érudition contestable (Traité des écritures cunéiformes, 1864 ; Histoire des Perses, 1869), soit que, obsédé pendant des années par sa propre généalogie, il tente de rattacher sa lignée au pur Aryan, Ottar-Jarl, pirate norvégien (1879), soit enfin que ses ambassades en Grèce (1864) et au Brésil (1869) l'ancrent dans son pessimisme sur l'incurable mélange des races.

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  • : professeur émérite à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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