MAISTRE JOSEPH DE (1753-1821)
Dans la critique des constituants révolutionnaires comme dans la défense du développement des institutions catholiques, l'œuvre de Maistre exprime le projet d'une science sociale qui, en réaction contre les théories du droit naturel apparues au xviie siècle, soit fidèle aux paradoxes radicaux de l'historicité des sociétés humaines et de la vérité dont elles vivent.
À la différence de celle de Bonald, la pensée hautaine et tragique de Joseph de Maistre peut être affrontée à celle de Stendhal, de Vigny, de Baudelaire, plutôt qu'aux nouveaux christianismes de Saint-Simon, de Lamennais ou de Comte. Si ces quatre noms peuvent situer le problème de l'influence de Joseph de Maistre, il n'est pas actuellement possible d'en donner une évaluation, sa place dans l'évolution du catholicisme restant de toute façon au premier plan.
Un style de contestation
Né à Chambéry, le comte Joseph de Maistre faisait carrière dans la magistrature de Savoie lorsque la Révolution vint toucher son pays. Au cours d'exils successifs en Suisse, en Sardaigne, à Saint-Pétersbourg enfin, où il représente son prince, Victor-Emmanuel Ier, de 1803 à 1817, il se fait connaître comme critique de la « révolution satanique » (Considérations sur la France, 1796 ; Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, 1814). Il meurt à Turin, alors qu'il devenait l'apologète le plus en vue du catholicisme ultramontain (Du pape, 1819 ; De l'Église gallicane, 1821 ; Soirées de Saint-Pétersbourg, posthume, 1821).
Maistre a donc été révélé à lui-même par la Révolution, dont il a contesté les principes dans son premier travail important, De la souveraineté, resté inédit jusqu'en 1870, mais qui est indispensable pour connaître les articulations d'une pensée que les ouvrages de 1796 et de 1814 ne présentent que d'une façon fragmentaire. De même que, pour le comte de Maistre, les principes de 1789 sont encore à l'œuvre à travers Napoléon et sous la Restauration, la critique de la Révolution reste au centre de tous ses ouvrages. Il y porte un style tout particulier : ce ne sont pas les péripéties qui l'intéressent – il critique, par exemple, la thèse du complot maçonnique –, mais les structures mentales qui lui semblent mises en œuvre. Son ambition est de les dénoncer là où elles se trouvent le plus subtilement exprimées ; de même, dans le domaine religieux, il s'attaque plus volontiers au jansénisme ou au gallicanisme qu'au protestantisme ; il porte attention moins aux théories sociales des révolutionnaires qu'à celles de Rousseau ; et, des philosophes des Lumières, il remonte à la métaphysique du langage qui prend source dans la Grammaire générale de Port-Royal, ou à l'idéologie des lois naturelles telle qu'on prétendait en trouver l'affirmation chez Francis Bacon (auquel il consacre un ouvrage, resté inédit jusqu'en 1836). Ainsi, il ne voit pas sa tâche comme le refoulement d'une rébellion localisée, mais comme le renversement d'une opinion dominante. L'attaque, dès lors, doit être menée avec toutes les ressources de la polémique : l'ironie, la provocation, la dialectique sophistique enfin, qui renverse les positions adverses sans trop se soucier d'établir à leur place un système cohérent. Ce style est d'autant plus personnel que la contestation se trouve, à vrai dire, en l'écrivain lui-même, fort différent en cela de ses compagnons de lutte Louis de Bonald ou Edmund Burke même. On discerne facilement en lui le conflit de tendances divergentes, sinon opposées ; c'est ce qui explique en partie les différences notables de ton entre les notes personnelles ou la correspondance intime d'une part, et les ouvrages publiés de l'autre. De là encore découle sans doute la composition fort lâche, sous une apparente[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre VALLIN : professeur d'histoire du christianisme et de théologie au centre Sèvres
Classification
Autres références
-
CITOYENNETÉ
- Écrit par Dominique SCHNAPPER
- 4 698 mots
- 1 média
Le terme de citoyen, dont la Révolution française avait déjà fait un usage enthousiaste et parfois excessif, est revenu à la mode depuis quelques années d'une manière insistante, sinon obsédante, et cela dans tous les pays démocratiques. Le plus souvent, il revient à dire simplement « non professionnel...
-
CONSTITUTION
- Écrit par Pierre BRUNET
- 4 216 mots
- 1 média
...par le sang ; nous avons fait entrer notre constitution et nos lois fondamentales dans nos foyers et noué avec elle de véritables liens de famille... » Joseph de Maistre, dans ses Considérations sur la France (1797), présente lui aussi la constitution comme un « ordre naturel » qui ne saurait résulter... -
CONTRE-RÉVOLUTION
- Écrit par Jean TULARD
- 4 962 mots
...libre à d'autres théoriciens de la contre-révolution. La plupart ont subi néanmoins l'influence du penseur anglais. Le courant théocratique s'incarne en Joseph de Maistre et Louis de Bonald. Un Savoyard, d'abord favorable aux idées de Montesquieu, mais que les excès de la Révolution dégoûtent des Lumières,... -
LES ANTIMODERNES (A. Compagnon) - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
- 1 018 mots
Depuis que l'on a proclamé la fin des avant-gardes, la modernité a été périodiquement l'objet de débats où se mêlent mises en accusation et plaidoyers teintés de nostalgie. Professeur de littérature à la Sorbonne et à Columbia University, Antoine Compagnon a déjà consacré plusieurs...