LOSEY JOSEPH (1909-1984)
Losey n'a pas choisi d'être aujourd'hui l'un des très rares, sinon le premier, metteurs en scène réellement cosmopolites. Si sa biographie peut expliquer sa carrière, elle ne saurait rendre compte à elle seule de sa probité artistique et de sa compétence professionnelle, dont il a su tirer parti. Son œuvre n'est ni répétitive ni confortable, elle est faite d'audaces périodiques, à travers lesquelles s'aperçoit mieux ce qui fait la maîtrise du cinéaste : moins des « thèmes » littéraires que la façon de les traiter, un jeu d'interférences qui, par-delà les ressemblances formelles d'un film à l'autre, dessine la trame d'un style et témoigne par-dessus tout d'un grand amour du cinéma.
Une formation exhaustive
Sa biographie est pourtant passionnante et instructive. Joseph Losey est né le 14 janvier 1909 à La Crosse (Wisconsin) ; son père était avocat, et l'enfant grandit dans une atmosphère puritaine (peut-être liée à une lointaine ascendance hollandaise) qui lui laissera une impression ambivalente : « Mon livre préféré est sans doute encore la Bible [mais] beaucoup de gens perdent leur vie à tenter vainement de s'en échapper. » Jusqu'en 1929, Losey (qui a renoncé à ses études de médecine) poursuit des études littéraires en même temps que des activités théâtrales aussi précoces que fécondes, qui l'amènent à la critique dramatique. En 1931, il fait connaissance de J. H. Hammond Jr., spécialiste de jazz et producteur de théâtre, pour lequel il sera régisseur, rewriter de certaines pièces (dont Jayhawkers de Sinclair Lewis) et coproducteur. Deux voyages en Europe en 1931 et surtout en 1935 le conduisent en Grande-Bretagne, en Suède, en Finlande et en U.R.S.S., où il s'initie aux progrès de la technique théâtrale et découvre l'œuvre de Bertolt Brecht.
En 1936, il prend une part importante au Living Newspaper, spectacle total (avec projection cinématographique, danse, mime, etc.) monté dans un théâtre de New York sous l'impulsion de l'administration Roosevelt ; il s'agit en fait d'une série de pièces commentant l'actualité, dans un but pédagogique de gauche, et utilisant les ressources du théâtre européen d'avant-garde. Cette expérience (à laquelle collabore, avec quinze écrivains, le futur cinéaste Samuel Fuller), suspendue par le gouvernement lui-même quand les auteurs s'attaquent à l'Italie (à propos de la guerre d'Éthiopie), reprend pour évoquer les luttes syndicales, le programme agricole de Roosevelt et divers autres sujets d'actualité. Une centaine d'acteurs se relaient alors sur le plateau sous la direction de Losey ; dans la foulée de cette entreprise (qui dépend du Works Progress Administration), il met en scène une pièce sur la guerre d'Espagne, due à Kenneth White, et plusieurs autres spectacles qui lui permettent de parfaire sa connaissance des ressorts théâtraux.
En 1938, il accède au cinéma comme monteur : la Rockefeller Foundation lui demande en effet de réaliser soixante courts métrages éducatifs, uniquement à partir de matériel déjà existant. Expérience sans lendemain immédiat : Losey continue à faire du théâtre puis entame une carrière radiophonique (1942) interrompue par sa mobilisation. Après un an d'absence, il se retrouve à Hollywood et, dès 1945, décroche une nomination aux oscars du court métrage pour ce qui est pratiquement sa première réalisation, une fiction policière : A Gun in His Hand. Il ne néglige pas pour autant le théâtre, montant notamment avec succès le Galileo Galilei de Brecht (alors réfugié aux États-Unis) en complet accord, semble-t-il, avec le dramaturge. En 1946, Dore Schary, patron de la maison de production R.K.O. et personnalité controversée, donne à Losey, qu'il connaît de longue date, l'occasion de réaliser[...]
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
Classification
Médias
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