TURNER JOSEPH MALLORD WILLIAM (1775-1851)
Analyses, interprétations, discussions
Turner fut profondément marqué par les paysagistes classiques, Wilson d'abord, Poussin et Claude, plus tard les Hollandais du siècle d'or, dont il s'inspira successivement, rivalisant parfois explicitement avec eux. Mais il se montra aussi sensible, dans la première moitié de sa carrière, aux attentes du public. On peut ainsi voir dans ses scènes de la vie campagnarde anglaise, exécutées à partir de 1807, une réponse aux succès de Wilkie. Les préoccupations de forme et surtout de couleur prirent cependant progressivement le pas, concrétisées dans les études réalisées à Petworth, chez lord Egremont, entre 1829 et 1837, et aboutissant aux peintures de plus en plus abstraites de la fin de sa vie, qui déconcertèrent souvent le public et les critiques, y compris ses défenseurs les plus pénétrants comme Ruskin. Ce sont elles, cependant, qui ont en grande partie assuré pendant longtemps sa renommée posthume, ainsi que ses études à l'aquarelle, qui surprennent par la force, l'originalité et la modernité de leur économie de moyens. La recherche, après la publication des indispensables catalogues raisonnés, s'oriente désormais dans d'autres directions : l'étude des rapports de Turner avec ses graveurs et ses éditeurs permet de mieux le situer dans la vie artistique anglaise du xixe siècle, celle de ses voyages de mieux cerner son travail de paysagiste et sa relation aux peintres anciens et modernes. L'analyse de ses sources et de ses admirations littéraires, ainsi que celle de son poème inachevé Fallacies of Hope (« Les Leurres de l'espérance ») dont il tira, après 1813, les légendes de ses tableaux, ouvre par ailleurs des perspectives nouvelles sur le sens et l'ambition des recherches du peintre. La position de l'artiste n'apparaît pas, en définitive, aussi radicalement neuve en son temps que l'audace formelle d'une partie de son travail aurait pu le faire supposer. Turner, malgré sa misanthropie et son originalité (il vécut à la fin de sa vie, très isolé, et sous un faux nom, dans sa demeure de Chelsea), n'a rien d'un artiste maudit. Son talent était largement reconnu par-delà le cercle presque intime de ses amateurs les plus proches, et sa renommée s'étendait dans l'Europe entière, non pas tant par ses voyages incessants que par l'intermédiaire de la gravure d'interprétation. Son succès lui permit simplement de s'affranchir d'un certain nombre de contraintes matérielles et sociales, au contraire de la plupart de ses contemporains qui ne le purent ou ne le voulurent pas. La comparaison avec l'autre grand paysagiste britannique de cette époque, Constable, qui ne bénéficia jamais comme lui, de son vivant, d'un mécénat aussi régulier ou d'une assise critique solide, est de ce point de vue très éclairante.
La fortune critique de Turner est intimement liée aux conditions mêmes de la connaissance de son œuvre. L'exposition Trésors de l'art tenue à Manchester en 1857, l'Exposition universelle de 1862 à Londres, qui toutes deux lui faisaient une large place en présentant comme une rétrospective de ses tableaux (à peu près tous conservés, alors, en Grande-Bretagne), officialisèrent ainsi son rang au sein de l'école anglaise de paysage du xixe siècle.
L'ouverture en 1987, plus d'un siècle après le legs du peintre, de la Turner Gallery dans une aile spécialement construite de la Tate Gallery à Londres, a sans nul doute également joué un rôle capital dans la réévaluation tardive de l'artiste. Autour d'une présentation permanente des peintures les plus importantes a été mis en place un cycle régulier d'expositions thématiques, souvent confiées à des chercheurs extérieurs, et qui privilégient les œuvres sur papier, plus fragiles. Le renouveau d'intérêt envers Turner a également provoqué[...]
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Écrit par
- Barthélémy JOBERT : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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