MORDER JOSEPH (1949- )
Principal adepte du Journal filmé en France, Joseph Morder se tient à la frontière des genres, entre documentaire, film expérimental et fiction. Son aventure débute à la fin des années 1960. Elle se poursuit encore, avec quelque huit cents films de tout métrage à son actif, la plupart tournés en super-8, son format favori. Il avoue être peu marqué par Jonas Mekas dont il découvre les films tardivement. Il se dit, en revanche, influencé par David Holzman'sDiary, de Jim McBride (1967), un faux journal joué par des acteurs, et par Heroes, de Frederick Becker (1974), dans lequel le réalisateur reprend des films amateurs, tournés au sein d'une famille américaine entre 1940 et 1970, auquel il donne une continuité dramatique par le commentaire. La filmographie de Morder constitue la tentative la plus aboutie pour composer un monumental autoportrait.
Né à Trinidad, Joseph Morder, d'origine juive polonaise, passe son enfance, entre 1952 et 1962, à Guayaquil (Équateur) où il se prend d'une passion dévorante pour le cinéma, et plus particulièrement le mélodrame. La difficulté de lire, enfant, les sous-titres l'oblige à accorder une attention particulière aux images. Les histoires familiales, avec sa mère comme figure de proue, se mêlent aux aventures extravagantes des stars de la mythologie hollywoodienne : Ava Gardner ou Rita Hayworth. La famille Morder s'établit à Paris en 1962. Le futur cinéaste reçoit, pour ses dix-huit ans, en 1967, une caméra super-8 muette. Il s'en sert, comme la plupart des amateurs, pour filmer des événements de son quotidien : des anniversaires, un voyage à Berlin, des scènes de la vie familiale. Dès ses débuts, l'artiste isole un double aspect dans sa pratique : l'enregistrement de faits bruts, purement documentaires, et le désir de fiction. Il fonde en 1969, avec Guy Pezzetta et Jean-Claude Remignac le groupe Les Morlock qui devient rapidement les Archives Morlock. Le réalisateur filme, dans ce cadre, les manifestations des 1ers-Mais entre 1972 et 1984, les funérailles de Jean-Paul Sartre, les suites de l'attentat de la rue Copernic...
Le « filmeur » poursuit, aussi, la pratique d'un journal filmé qui fait suite à une gazette écrite amorcée à l'âge de dix ans. Il enregistre son quotidien, de vagues petits drames familiaux ou amicaux. Parallèlement à cela, la scène culturelle française bouge. Le Collectif Jeune Cinéma, première coopérative de diffusion de cinéma indépendant et expérimental, est créé en 1971 à Paris, sur le modèle de la Film Makers Cooperative de Jonas Mekas, à New York. Ce cinéma possède désormais ses lieux de diffusion, ce qui favorise sa reconnaissance culturelle. Deux ans plus tard, se déroule à la salle du Ranelagh une grande manifestation consacrée au super-8 en tant que nouveau format artistique. En 1975, une Fédération internationale du super-8, composée d'une dizaine de pays, est fondée à Téhéran. À la même époque, des cinéastes comme Maria Klonaris, Théo Hernandez, Gérard Courant, Katerina Thomadaki, Stéphane Marti parviennent à tirer de ce format des images splendides qui les font remarquer dans les festivals. Morder est leur ami et complice.
Il acquiert, en 1976, une caméra super-8 sonore. La vision de Heroes, de Frederick Becker (1974), lui donne l'idée de structurer son journal. En 1978, un premier épisode voit le jour. L'Été madrilène, qui prend en compte les événements qui se déroulent entre juin et décembre 1978. L'auteur fait un voyage en Espagne, accompagné d'un ami, et renoue avec la langue de son enfance. À cette nostalgie succède, avec Le Chien amoureux (décembre 1978-juin 1979), une œuvre plus dynamique inscrite dans le présent, et qui se veut un véritable manifeste en faveur du cinéma indépendant à travers des bribes de la vie et de l'action de quelques amis militants de la cause.[...]
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Autres références
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CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d'avant-garde
- Écrit par Raphaël BASSAN
- 11 954 mots
- 3 médias
En France, Joseph Morder est le « diariste » le plus connu. Commençant à tourner dès la fin des années 1960 en super-8, il filme ses parents, ses amis (souvent des artistes). À partir de 1978, il structure son journal en épisodes : L’Été madrilène, Le Chien amoureux. Chacun s’inscrit...