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EICHENDORFF JOSEPH VON (1788-1857)

Du visible à l'invisible

Car la nature parle à l'homme. Cette idée commune à tous les romantiques allemands, et qu'Eichendorff fait sienne, apparaît peut-être moins clairement dans ses œuvres en prose, où l'action sollicite davantage l'attention du lecteur, que dans le lyrisme de la plupart des poèmes. Ceux-ci, en effet, s'alimentent sans cesse aux grands thèmes fournis par la nature et, par-delà l'image, suggèrent une interprétation. On peut donc les lire de deux façons, et c'est là le point où les laudateurs superficiels ont rendu un mauvais service à la mémoire du poète. Ils n'ont en effet vu que clairs de lune et chants de rossignols, que frondaisons accueillantes et ruisseaux vagabonds, que clinquant et bric-à-brac romantique aux endroits où une nouvelle dimension était suggérée : bref, ils sont demeurés à la surface des choses, alors que mille signes les sollicitaient d'y pénétrer.

Chez Eichendorff, les astres ne font pas que tourner régulièrement dans le ciel : ils sont le témoignage visible des lois invisibles qui règnent dans la nature et dans l'âme humaine. Les heures de la journée ne s'égrènent pas, indifférentes, à un rythme d'horloge ; il en est de privilégiées, depuis celle de l'aube qui parle de grandes choses à entreprendre, en passant par celle de midi où naît dans le silence panique l'angoisse d'un monde arrêté dans sa marche, jusqu'aux heures nocturnes où les sens, n'étant plus sollicités brutalement, s'ouvrent aux suggestions extra-rationnelles. Il en est de même pour le bestiaire du poète : ces alouettes au sommet de leur vol, ces chevaux au galop sont là pour entraîner l'âme ailleurs que dans les trois dimensions de l'espace. La flore, elle aussi, qui semblait si mièvre et si conforme aux canons traditionnels régissant la rose et le lis, le sapin et le chêne, la voici désormais enrichie de son poids métaphysique : en elle s'accomplissent les noces de la Terre et du Ciel (Nuit de lune,Mondnacht). Les choses ne sont pas que « ce qu'elles sont » ; tout a un double aspect, extérieur et intérieur, tout indique, tout signifie. Ceux qui ont le don de déchiffrer ces hiéroglyphes sont les poètes. Leur tâche consiste alors à entraîner l'humanité à leur suite ; ils sont thaumaturges. Mais, plus sensibles que quiconque aux voix secrètes de la nature, ils entendent plus distinctement les sollicitations des forces d'en bas : ce sont des êtres exposés. Seule la grâce divine les maintient au-dessus de l'abîme.

— Georges PAULINE

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Écrit par

  • : Maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Nanterre

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