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REYNOLDS JOSHUA (1723-1792)

La théorie et la pratique

Les quinze conférences que prononça Reynolds à l'intention des étudiants de la Royal Academy de 1769 à 1790 sont souvent citées pour éclairer tel ou tel aspect de sa peinture. Pourtant, l'ambition de ces Discours sur l'art dépassait de loin son œuvre et tendait à fixer les principes généraux de l'art pour l'éternité. On sait qu'elles représentent le fruit de siècles d'enseignement de la peinture depuis la Renaissance, et qu'elles font figure de bilan plus que de manifeste. Toutefois, certaines pages permettent de mieux comprendre la signification de l'art de Reynolds. Quand on lit par exemple : « Un peintre d'histoire peint l'homme en général ; un portraitiste peint un individu et par conséquent un modèle imparfait », on saisit à quel point il a voulu se démarquer de ceux qui ne se préoccupaient que de ressemblance. Il l'a fait en idéalisant systématiquement les visages des modèles. De même, il a souvent atténué la référence au présent en simplifiant le vêtement. Pourtant, rendre les visages moins typés et les costumes moins datés ne suffisait pas à Reynolds pour atteindre son véritable objectif qui était d'élever le statut du portrait. La mise en scène d'éléments mythologiques ou littéraires dans ses tableaux signifie-t-elle pour autant que le peintre a opéré la jonction entre le portrait et la « grande » peinture ? Il ne le semble pas, car s'il présente par exemple Miss Kitty Fisher en Cléopâtre (1759, Kenwood), c'est à titre de référence culturelle flatteuse pour une demi-mondaine et divertissante pour le public.

L'élévation du statut esthétique du portrait fut plutôt obtenue par des moyens proprement picturaux, le plus important étant les emprunts délibérés aux maîtres d'autrefois, tant au niveau de la lumière, de la composition, que de la pose elle-même. Parfaitement à l'aise dans la tradition classique du disciple-essayant-d'égaler-le-maître, Reynolds n'a en aucune façon le souci de l'originalité comme une fin en soi. Il affirme hautement que ces maîtres sont les meilleurs interprètes de la « nature », et que l'artiste doit éduquer son regard grâce à l'étude de leurs œuvres : « Si je n'avais jamais vu un seul des chefs-d'œuvre de Corrège, je n'aurais peut-être jamais remarqué dans la nature l'expression que je trouve dans l'un de ses tableaux ; ou si je l'avais remarquée, je l'aurais peut-être jugée trop difficile ou impossible à exécuter. » Plus généralement, les emprunts ou allusions à la culture classique sont à ses yeux un tremplin pour l'imagination. Le rapprochement si fréquent dans son œuvre entre modèles vivants et personnages de fiction ou d'histoire est un moyen de stimuler l'esprit du spectateur, de lui permettre d'opérer ces « associations d'idées » qui, pour la psychologie anglaise, étaient un aspect essentiel de la vie mentale. Éminemment littéraire, la peinture de Reynolds l'était assurément, mais ce n'était pas par carence d'invention, mais par souci de mieux communiquer avec le spectateur. La contrepartie de ce choix fut peut-être une certaine pauvreté plastique, notamment dans l'usage de la couleur, mais sans doute était-ce la rançon à payer par celui qui a voulu faire de la peinture « la sœur de la poésie ».

— Jacques CARRÉ

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Clermont-Ferrand-II-Blaise-Pascal

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<it>Le Colonel Tarleton</it>, J. Reynolds - crédits :  Bridgeman Images

Le Colonel Tarleton, J. Reynolds

<it>Mrs. Abington en "Miss Prue"</it>, J. Reynolds - crédits :  Bridgeman Images

Mrs. Abington en "Miss Prue", J. Reynolds

Master Hare, J. Reynolds - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Master Hare, J. Reynolds

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