JOURNAL D'UN THÉOLOGIEN. 1946-1956 (Y. Congar)
Depuis le décès du frère dominicain Yves Congar (1904-1995), le gros livre réalisé avec l'aide de quelques collaborateurs par Étienne Fouilloux, professeur d'histoire contemporaine à l'université Louis-Lumière-Lyon II, doit être considéré comme un témoignage précieux pour l'historiographie catholique du xxe siècle, portant précisément sur une période pré-conciliaire un peu oubliée. Paru en 2001 aux Éditions du Cerf, Journal d'un théologien. 1946-1956 était le deuxième recueil de manuscrits du théologien à être publié, après le Journal de la Grande Guerre 1914-1918 de l'enfant Yves Congar, paru en 1997. Un troisième, entièrement consacré au journal du théologien désigné en 1960 comme consulteur au deuxième concile du Vatican, est paru en 2002 (Mon Journal du concile).
La simple annotation d'agendas suffit longtemps à Yves Congar. Mais, vers 1930, jeune professeur au centre du Saulchoir dirigé par le père Chenu, l'intérêt pris à la pensée théologique et aux événements de l'Église le conduit à pousser et organiser son information. Il suit en effet de nombreuses affaires, les commentant et les répertoriant scrupuleusement en différents dossiers, documents, chronologies, articles de presse, etc. Tous ces documents sont aujourd'hui conservés aux archives de la province dominicaine de France, sans la coopération de laquelle ce livre n'aurait pu voir le jour.
L'ouvrage est constitué de notes, de lettres et de commentaires écrits « à chaud » de sa main, justifiant ainsi le titre global du livre. En sus de la quinzaine de pages consacrées à une présentation générale de la personnalité du père Congar, de son itinéraire religieux et de son œuvre théologique, Étienne Fouilloux introduit avec beaucoup de précision chacune des parties du recueil par un texte permettant au lecteur de saisir exactement le contexte immédiat des écrits présentés.
La décennie 1946-1956 est une période sombre de la vie d'Yves Congar, qu'il n'hésite pas à comparer à sa période de captivité physique en Allemagne. Sous le pontificat finissant de Pie XII, une crispation dogmatique due en partie au contexte de guerre froide conduit au rejet de la « théologie nouvelle », expression du souverain pontife qui désigne en fait tout l'effort de renouvellement de la pensée catholique depuis les années 1930. Engagés sur ces terrains sensibles que sont l'œcuménisme et l'action sociale, nombre de personnalités et de mouvements catholiques français vont alors subir les critiques et bientôt les sanctions de Rome.
1946 est l'année où le dominicain rédige un texte autobiographique qu'il appelle « Mon Témoignage ». Ce récit, qui s'intéresse aux années 1930-1932, retrace la passion du théologien pour le projet œcuménique, dès avant son ordination en 1930. Il se termine ainsi : « Nous avons vraiment vécu, dans les dix années qui ont précédé la guerre, nos années heureuses... »
Le recueil se poursuit par le récit du premier voyage de Congar à Rome, la même année 1946, en compagnie du père Féret. Au cours de ses entrevues avec de nombreux prélats de la curie romaine, il prend la mesure du fossé qui s'est créé entre cette dernière et les réalités du monde extérieur. Il note que « le grand problème intellectuel qui se pose à l'Église dans les temps modernes est celui de s'ouvrir à la double requête qui caractérise ces mêmes temps modernes, et qui sont : 1. le dégagement du point de vue du sujet, de la puissance de création et d'apport qu'il y a dans le sujet ; 2. le point de vue du développement, de l'histoire ». Plus tard il constatera, dépité, que « Rome vit dans un monde à elle, un monde où tout se ramène à l'obéissance, assaisonnée de piété hypermariale. Le monde et la vérité de ses questions n'existe pas pour elle... »[...]
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Écrit par
- Christian HERMANSEN : éditeur à l'Encyclopædia Universalis
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