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JOURNAL DE VOYAGE DU CAVALIER BERNIN EN FRANCE, Paul Fréart de Chantelou Fiche de lecture

L'histoire d'une occasion manquée : si le voyage en France de Bernin (1598-1680), l'artiste le plus célèbre de l'Europe de son temps, répondant à l'invitation du jeune Louis XIV, comme Léonard de Vinci avait répondu à celle de François Ier, s'était soldé par des commandes à profusion, un nouveau plan pour le Louvre mis à exécution, la formation d'une école artistique franco-italienne qui eût été le pendant des Écoles de Fontainebleau au xvie siècle, alors oui le siècle de Louis XIV aurait été autre. Avec l'abandon des projets de Bernin pour le vieux palais des rois et l'édification de la colonnade de Claude Perrault, avec Versailles – qui devient résidence de la cour à partir de 1671 –, avec le triomphe de Colbert et le renvoi à Rome de Bernin déçu, c'est le Grand Siècle classique qui s'affirme. Par chance, Paul Fréart de Chantelou (1609-1694), le gentilhomme français chargé d'accompagner le génie italien, durant ce séjour à Paris, en 1665, a laissé de passionnants Mémoires qui relatent, au jour le jour, pendant cinq mois, cette confrontation. On peut y lire entre les lignes la plus extraordinaire description qui soit du monde artistique français du xviie siècle, avec ses collectionneurs et ses « curieux », ses chantiers et ses architectes aussi prompts à monter des cabales qu'à construire, la société de cour, ses codes et ses rites. Diplomate cultivé et excellent « connaisseur », Chantelou sait mettre en scène les enjeux esthétiques de ce court voyage, qui a laissé un souvenir mythique dans l'histoire de l'art.

Bernin à Paris

Julius von Schlosser écrit justement dans La Littérature artistique, en 1924, que ce Journal est « un document de tout premier rang, écrit sous l'impression immédiate des rapports personnels, qui fixe dans toute leur fraîcheur les manifestations du grand homme. Ce texte est donc plus précieux et nous éclaire plus sur son caractère que tous les récits posthumes ».

Deux grandes commandes occupent le « Cavalier » : il exécute quatre projets pour le Louvre, et il s'attaque au portrait sculpté du roi. Les quatre élévations projetées pour la façade du Louvre visent à traduire dans la pierre les emblèmes de la grandeur. Louis XIV fut d'abord enthousiasmé, mais Colbert fit barrage au projet de l'Italien, jugé trop dispendieux.

La réalisation du buste du roi, entreprise sous les yeux de Chantelou, est relatée presque heure par heure. C'est un cours de sculpture, très vivant et riche d'enseignements. Cette leçon d'histoire de l'art donnée par Bernin au public parisien est, selon Milovan Stanić « décisive pour la constitution d'une littérature d'art indépendante en France ».

Le portrait de Bernin par Chantelou est extraordinaire : fin causeur, séduisant, plaisantant sans cesse – il finit par traiter Colbert de « vrai couillon » – l'artiste qui cite Michel-Ange et Vasari est très conscient de sa valeur, et comprend l'importance historique de son voyage.

L'échec de cette équipée ne saurait pourtant se réduire au triomphe des Français sur les Italiens, d'un style « classique » sur une esthétique « baroque », toujours difficile à définir. Les enjeux de l'époque sont plus complexes : Colbert souhaite d'abord ramener le roi, de plus en plus tenté par Versailles, à Paris, mettre en place ses hommes, imposer des budgets. L'histoire de l'art n'est là qu'une des composantes d'une intrigue complexe.

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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