Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

JOURNAL INTIME, notion de

Un journal intime est composé des notes qu'un narrateur prend quotidiennement (ou du moins régulièrement) sur lui-même, qu'il s'agisse de sa vie courante ou de sa vie intérieure. Il relève donc d'une écriture de l'intime.

Sans que l'on puisse parler de « journaux », Michel Eyquem de Montaigne et Jean-Jacques Rousseau sont peut-être les plus illustres ancêtres de l'écriture de soi. Montaigne, dans les Essais (1580-1582 ; 1588 ; 1592), déclare en effet vouloir peindre non l'être mais le passage, ce qui désigne précisément l'impossible objet du journal. Deux siècles plus tard, Jean-Jacques Rousseau livre Les Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778), qui se présentent comme « un informe journal de [ses] rêveries ». Alors que Les Confessions (1764-1769) se voulaient une disculpation des accusations portées contre lui, Rousseau ne prétend plus ici écrire que pour lui-même : « me voici donc seul sur la terre ». Mais c'est à partir de l'époque romantique que se développe le journal intime. On publie le Journal d'un poète (1867, éd. posthume) d'Alfred de Vigny, le Journal (1887-1892) des frères Goncourt ou encore, réunies par François René de Chateaubriand, le Recueil des pensées de M. Joubert (1838). Le goût de l'introspection explique partiellement cet essor et rejaillit sur une forme nouvelle de fiction littéraire qui confère à l'œuvre un caractère humain, authentique, comme dans Oberman (1804) de Senancour, Journal d'un fou (1834) de Nicolas Gogol, le Journal d'une femme de chambre (1900) d'Octave Mirbeau ou les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910) de Rainer Maria Rilke.

Ce procédé soulève l'ambiguïté même du journal intime : est-il destiné ou non à être lu ? La diffusion dénature-t-elle le projet d'auto-écriture ? Il semble que la vocation du journal consiste en effet à peindre, selon Henri-Frédéric Amiel (1821-1881), des « effusions sans témoin » (26 janvier 1860). « Un tel journal n'est fait que pour qui l'écrit » (25 août 1826), dit encore Stendhal. Ainsi « l'auto-destination » se présente-t-elle comme un « trait spécifique du genre » ( Jean Rousset, Le Lecteur intime, 1986), indissociable du « je ». « J'espère pouvoir considérer ce journal comme une ramification naturelle de ma personne » écrit Virginia Woolf le 28 mai 1918. Mais, si le journal s'auto-destine, on ne peut pas parler de genre littéraire. Or, à côté de la pratique privée, c'est-à-dire non publiée, coexiste une pratique littéraire du journal intime, qui suppose que certains de ces écrits aient été diffusés, parfois de façon posthume, parfois avec l'assentiment de leur auteur. Il faut cependant se garder de juger la publication comme antithétique au projet du journal intime, mais distinguer deux niveaux de destinataires. Le journal s'adresse à celui qui l'écrit, moins souvent à un tiers, virtuel ou non. Mais, lorsqu'il est publié, le destinataire externe n'en existe pas moins. Seulement, ce genre littéraire lui impose une posture particulière : extérieur, parfois explicitement rejeté, le lecteur se trouve dans la position du voyeur qui enfreint un secret.

Les diaristes écrivent, disent-ils, pour n'être pas lus, sinon par eux-mêmes. Cette position ambiguë, où le narrateur cherche malgré tout à s'exhiber, explique sans doute les multiples autojustifications du journal. Car le genre semble impliquer un constant questionnement sur soi. La première des fonctions attribuées à l'écriture intime consiste à se saisir soi-même. « J'écris pour me retrouver » (8 février 1953), affirme H.-F. Amiel. Le journal constitue donc une quête de soi et un travail de mémoire. Toutefois, sa forme même semble dénier la permanence au « je ». Car le journal est avant tout une écriture du fragment. Rédigé[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de lettres modernes, docteure en lettres modernes et en arts du spectacle

Classification

Autres références

  • JOURNAUX INTIMES VIENNOIS (J. Le Rider)

    • Écrit par
    • 921 mots

    « De la vaporisation et de la centralisation du moi. Tout est là. » Il y a fort à parier que la fin du xxe siècle n'a rien de proprement nouveau à ajouter aux lignes qui ouvrent Mon Cœur mis à nu de Baudelaire. Si le journal intime se polarise tantôt sur la dispersion, tantôt sur le rassemblement,...

  • ALVARO CORRADO (1895-1956)

    • Écrit par
    • 810 mots

    Journaliste et écrivain italien débutant par des poésies à l'époque des années 1910, où le roman était en Italie un genre discrédité par l'influence de l'esthétique de Croce et par la suite de la crise du naturalisme positiviste, Corrado Alvaro est surtout connu comme narrateur et essayiste. Cet...

  • AMIEL HENRI-FRÉDÉRIC (1821-1881)

    • Écrit par
    • 2 445 mots

    L' essentiel de l'œuvre aujourd'hui reconnue d'Amiel est son Journal intime, dont il n'avait publié de son vivant que de courts extraits. En ce sens, sa figure littéraire a été totalement modifiée, et même révélée, par la postérité, et il peut faire figure d'écrivain pur, à la...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par
    • 7 522 mots
    • 5 médias
    ...avec son infini va-et-vient, aucun être humain ne peut l'embrasser d'un seul coup d'œil pour en connaître l'issue et le juger. » Cette remarque de Kafka, le diariste absolu du Journal, marque bien la limite de l'autobiographie pour celui que l'inachèvement de son « moi » entraîne à perte de vue dans le...
  • AZIYADÉ, Pierre Loti - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 964 mots
    • 1 média

    Le 20 janvier 1879 paraît, à la librairie Calmann-Lévy, un petit livre sans nom d'auteur, Aziyadé ; la couverture mauve est ornée d'un portrait de femme orientale. L'accueil de la critique est mince, et celui du public réservé. Pourtant, ce titre est celui qui vient à l'esprit lorsque l'on...

  • Afficher les 32 références