ONETTI JUAN CARLOS (1909-1994)
La sombre aventure de l'homme
La parution, en 1987, de Cuando entonces marque cinquante ans de production romanesque suivie. Ce court roman (99 pages), qui commence là où se terminait Dejemos hablar al viento, par un orage désiré qui n'en finit pas d'éclater, est une épure schématisée de toute l'œuvre antérieure. Outre une stylisation des habituelles techniques du récit, on y retrouve, condensée, la thématique obsessive de l'auteur : une histoire d'amour et de mort, la prostitution, l'alcool, la déchéance physique, les variations sur la fatalité de l'échec. Comme toujours, l'action se déroule dans un monde dépourvu de valeurs morales et voué irrémédiablement à la dégradation, où les personnages vont à l'aveuglette en manifestant une complaisance morbide pour l'action stérile qui les conduit inévitablement à l'enfermement sur eux-mêmes et à la dilution de la personnalité. Un univers foncièrement pessimiste, dans lequel on a pu voir une représentation prémonitoire de la détérioration socio-historique des deux pays chers à l'auteur : la paisible Suisse américaine qu'était l'Uruguay, le grenier du monde béni des dieux qu'était l'Argentine. Interprétation séduisante mais qui réduit par trop la signification de cette œuvre dont la portée est à la fois plus ample et plus simple. De l'aveu même de l'auteur, son œuvre est moins une quelconque prophétie qu'un constat ordinaire : « Je ne veux exprimer que l'aventure de l'homme. » Même si, ce faisant, Onetti privilégie le versant le plus sombre de la nature humaine. C'est ainsi que Une nuit de chien, qu'aurait pu traverser un souffle d'héroïsme, n'est qu'une fuite éperdue vers le néant ; que le projet rédempteur du protagoniste Larsen dans Le Chantier se résout en une chute désespérée dans l'abjection.
En cela, et toutes proportions gardées, Onetti est comparable aux contemporains qu'il admire : Joyce, Faulkner, Sartre (surtout celui de La Nausée), Roberto Arlt. La reconnaissance de ces diverses affinités littéraires ne saurait cependant faire oublier certaines analogies moins connues, avec des œuvres uruguayennes parallèles à celle de Juan Carlos Onetti et élaborées dans le même creuset : la déliquescence végétative d'un Felisberto Hernández ou l'agressivité stridente d'une Armonia Somers.
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Écrit par
- Jean ANDREU : professeur agrégé d'espagnol, maître assistant à l'université de Toulouse-Le-Mirail
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