GRIS JUAN (1887-1927)
Une poésie du silence
L'état de santé de Juan Gris commence à s'altérer à partir de 1920, ce qui l'oblige à faire de fréquents séjours dans le Midi, à Céret où il retrouve son ami le sculpteur Manolo, à Bandol, Toulon, Beaulieu. Mais les premières atteintes de la maladie ne diminuent en rien son ardeur au travail. Parallèlement à ses activités picturales, il pratique l'art de la gravure et de l'illustration, exécute de charmantes sculptures de circonstances en tôle découpée. Serge Diaghilev le charge de brosser les décors et les costumes de plusieurs spectacles des Ballets russes, et il s'en acquitte avec talent. Enfin, sa première exposition particulière à la galerie Simon, à Paris, au printemps 1923, le retentissement de sa conférence Sur les possibilités de la peinture, prononcée à la Sorbonne l'année suivante, sont pour lui de véritables consécrations.
Gris, désormais, est maître de son univers plastique. Son œuvre évolue peu jusqu'à sa mort. Mais cette immobilité n'est qu'apparente. Chaque toile est une aventure nouvelle, où le peintre expérimente à l'intérieur du monde qu'il s'est créé. Il reste fidèle à l'esthétique cubiste. Toutefois, les rythmes s'assouplissent, les angles se font moins provocants, les compositions se simplifient à l'extrême. Très souvent, un cerne qui prolonge le ton local au-delà de l'objet contourne les plans principaux et en atténue la rudesse. La palette, en hommage à la peinture française du xviie siècle, est volontiers confinée dans les tonalités sombres, mais éclate parfois en stridences jaunes ou vermillon (Guitare et Papier à musique, coll. part., New York).
Les problèmes de composition et de structure ont toujours préoccupé Gris au premier chef. Il leur apporte une solution, provisoire mais séduisante, en généralisant, de 1920 à 1925, le procédé des rimes plastiques, qui consiste à accentuer la ressemblance formelle existant entre deux objets différents. Par la magie de l'expression graphique, le plasticien peut se permettre même des tours de prestidigitateur et faire sortir une tête des plis d'un vêtement (Trois Masques, 1923, galerie Leiris, Paris) ou répéter une silhouette entière dans le dessin de mains jointes (La Religieuse, 1922, galerie Würthle, Vienne). Beaucoup plus heureux dans les natures mortes, le procédé souligne la construction du tableau, et fait de celui-ci, selon le mot d'André Lhote, une véritable fugue plastique qui nous introduit dans l'univers des correspondances.
Autre caractéristique commune à la plupart des œuvres des dernières années : le sens du monumental. Les personnages, pierrots, arlequins, paysannes, s'inscrivent dans une pyramide. Figé, solennel, leur corps massif appartient au monde de la statuaire. Mais d'où vient la tristesse de ces géants aux yeux vides ? Les natures mortes séduisent d'abord par la puissance de leur architecture toute classique. Le plaisir qu'elles dispensent ne s'adresse pas seulement à l'esprit. Ce qu'elles confient, les mots ne sauraient le traduire. Serait-ce une certaine qualité de silence ?
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Écrit par
- Gérard BERTRAND : docteur en esthétique
Classification
Médias
Autres références
-
CUBISME
- Écrit par Georges T. NOSZLOPY et Paul-Louis RINUY
- 8 450 mots
...qu'il faut chercher le cubisme sous sa forme la plus pure, patiemment élaborée par les deux artistes dont chacun profitait des expériences de l'autre. Juan Gris suivit attentivement les œuvres de Braque et de Picasso. Il étudia très tôt l'œuvre de Cézanne dans une perspective cubiste et adopta...