SAER JUAN JOSÉ (1937-2005)
Juan José Saer est né en 1937 à Serodino, dans la province de Santa Fe (Argentine), qui sert de cadre à beaucoup de ses fictions. Après avoir enseigné l'histoire et l'esthétique du cinéma à l'université du Littoral à Santa Fe, il s'établit en France en 1968. Il est aujourd'hui l'auteur d'une œuvre novatrice et diversifiée, couvrant un vaste registre thématique mais d'une cohérence stylistique absolument remarquable, forte de dix romans, de quatre recueils de nouvelles, d'un livre de poèmes et de plusieurs essais dont El río sin orillas (1991, Le Fleuve sans rives), un ouvrage sur le Río de la Plata. Présenté par Saer comme un traité imaginaire, ce livre, dédié à ses parents d'origine syrienne, n'est ni un reportage ni une autobiographie (bien que le vécu de l'auteur soit souvent pris comme référence), mais un « hybride sans genre défini ». Saer y revient sur des situations et des comportements dont on retrouve l'écho dans son œuvre de fiction : la création chaotique de Buenos Aires, l'exil (« un nouvel avatar du principe de réalité »), la vision de l'Argentine par les étrangers (Caillois et Gombrowicz, entre autres), les écrivains admirés (Borges, Joyce, Proust, mais aussi le poète de Santa Fe Juan L. Ortiz), la « barbarie », le « ténébreux guignol de l'Histoire », l'emprise morale et culturelle des classes moyennes, le « paysage postindustriel » et, par-dessus tout, la littérature. Juan José Saer invite son lecteur à « méditer sur les ressorts fantasmatiques de toute écriture, y compris celle qui naît de la totale adhésion aux privilèges de l'empirique » et rappelle que pour lui « le but de l'art n'est pas de représenter l'Autre mais le Même ».
Au-delà de clivages chronologiques plus ou moins arbitraires, Juan José Saer, suivant en l'occurrence son maître Jorge Luis Borges, souligne l'impossibilité de saisir un réel, « suffisamment trompeur – note un des personnages de Lo imborrable (1993, L'Ineffaçable) – pour qu'on perçoive, presque à chaque fois, le contraire de ce qui se produit réellement ». Ses personnages s'interrogent donc en permanence sur la pertinence de leurs perceptions, confrontées à un « savoir » préalable. Ce questionnement revient avec d'autant plus de force que, d'un livre à l'autre, réapparaissent presque toujours les mêmes personnages : le narrateur Pichón Garay, qui part pour l'Europe, où il s'installe ; le journaliste Tomatis ; le vieux mentor Washington Noriega, d'autres encore. Ces figures récurrentes finissent par animer une sorte de « comédie humaine », où chaque roman vient remettre en cause la structure de l'ensemble. Un temps propre à la narration s'instaure ainsi, périodiquement « phagocyté » par de brusques émergences de l'Histoire : de Cicatrices (1969, Le Mai argentin) à Lo imborrable, en passant par Glosa (1986, L'Anniversaire), le cauchemar d'individuel est devenu collectif. Dans ce contexte, l'écriture devient un exorcisme, un pari, « un frein à la dispersion » et à l'angoisse.
« Chez moi – déclarait Saer en 1995 à la revue argentine Punto de Vista –, un récit naît toujours à partir d'une image, d'une métaphore, d'une phrase, d'une atmosphère, rarement d'une idée. Les idées apparaissent plus tard. Ensuite arrive le processus qui consiste à donner forme au récit, et ce processus varie à chaque fois. » Il est vrai que si, d'un livre à l'autre, depuis El limonero real (1974, Les Grands Paradis) jusqu'à La pesquisa (1996, L'Enquête), chaque récit s'articule sur une quête, une recherche, en réalité Saer s'applique surtout à subvertir les codes narratifs, et à effacer les frontières entre les genres. Ce[...]
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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L'ANNIVERSAIRE, Juan José Saer - Fiche de lecture
- Écrit par Claude FELL
- 861 mots
Publié en 1986, L'Anniversaire (Glosa) est certainement le roman le plus ambitieux de l'Argentin Juan José Saer (1937-2005), par sa construction complexe, le statut ambigu de son narrateur, la douloureuse réflexion sur l'histoire nationale et l'instabilité de son discours. On y retrouve...
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AMÉRIQUE LATINE - Littérature hispano-américaine
- Écrit par Albert BENSOUSSAN , Michel BERVEILLER , François DELPRAT et Jean-Marie SAINT-LU
- 16 963 mots
- 7 médias
Quant à l’Argentin Juan José Saer, il poursuit dans ses derniers ouvrages, comme La pesquisa (1994 et 2002, L’Enquête), Las nubes (1997, Les Nuages) et La grande (2005, Grande Fugue), posthume et inachevé, l’objectif avoué de toute une œuvre : considérer la littérature comme une construction du...