MUÑOZ JUAN (1953-2001)
Né à Madrid en 1953, Juan Muñoz, le « conteur d'histoires » de la sculpture ibérique, est mort à Ibiza le 28 août 2001. Il laisse un œuvre fort différent de celui des autres grands sculpteurs de la péninsule, Oteixa ou Chillida. Au travail sur le matériau du premier, à la force rythmée des constructions spatiales du second, le Madrilène préfère puiser à la source espagnole de Zurbarán ou de Velázquez, des rêveries de la cour et du baroque. Depuis sa première exposition personnelle à la galerie madrilène Fernando Vijande en 1984, Juan Muñoz avait fait à grands pas une carrière internationale : Aperto 86 à Venise, Chambres d'amis à Gand (1986), rétrospective à l'I.V.A.M. (Valencia) en 1992, exposition itinérante en Europe initiée au musée Reina Sofia (Madrid) en 1996. Il était connu en France par les expositions du Capc de Bordeaux (1987), du Carré d'art de Nîmes (1994) et de la biennale d'art contemporain de Lyon (1997). Muñoz disparaît au moment où un de ses „sols“ immenses traversé par des ascenseurs est visible dans le hall de la Tate Modern de Londres et où Washington lui consacre une rétrospective. Il avait reçu en 2000 le grand prix national des arts en Espagne.
Pour Muñoz, la sculpture est d'abord un lieu ordinaire : un balcon, un escalier en colimaçon, un sol au décor géométrique ; le sol est „lieu de transit. Un passage entre la figure et le néant, ou peut-être de nouveau la figure“. L'insistance sur le vide, comme dans les extraordinaires raincoat drawings – dessins d'intérieurs bourgeois avec images au mur, souvent en rupture avec l'ambiance, comme celle de soufis tournant – en fait un lieu propice aux apparitions, mais aucune image n'est imposée, à la différence de la peinture surréaliste. Logé dans le trou du souffleur, un nain de bronze attend. Comme chez l’architecte italien Borromini, sur lequel Muñoz a écrit, la rigueur du compas dresse le lieu de l'illusion possible, de l'événement qu'est l'entrée de la lumière, métaphore de l'épiphanie. Intitulé à la manière anglaise – Muñoz a fait en 1979-1980 une partie de ses études en Angleterre – Conversation Piece (1991), un groupe de figures dont les têtes dépassent de sacs de sable gonflés, semble ouïr un bruit fictif, hors de portée du spectateur. À cause de leur base arrondie démesurée, toute action leur est impossible : elles seraient ramenées à leur position initiale si elles bougeaient ; on pense au théâtre de Beckett. Pour Muñoz, d’ailleurs, „la meilleure des sculptures est un Cheval de Troie. Son centre est dans la partie qui n'est pas visible“.
Des ballerines, des nains, des hommes aux jambes prises dans de gigantesques cocons évoluent dans un décor fait de sols géométriques vertigineux, de balcons et de minarets, de tours de guet. Cet univers est aussi mental que le xviiie siècle italien évoqué par Giulio Paolini. Il peut faire penser à certaines scènes sculptées par Antonio Lopez-Garcia.
Le pantin, l'automate, la marionnette du ventriloque sont pour Muñoz un degré zéro de l'image de l'homme, comme le cube blanc était pour le minimalisme la base d'une analyse vécue de l'espace. „L'automate est toujours un autre“, disait-il, comme le cube n'est que le lieu où l'on expérimente son propre corps. Mais l'artiste s'intéresse à la chambre et non à l'espace. Il ignore la représentation mais insiste sur la séparation que les objets doivent avoir avec leur signification habituelle : tambour sans joueur de tambour, balcon sans regardeur, pantin sans ventriloque. C'est dans cet écart que naît le trouble : „J'essaie toujours de faire un art réaliste, peut-être rempli de reflets fantastiques.“
Si selon les artistes de la mouvance minimaliste, comme Carl Andre, tout est dans ce qu'on[...]
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Écrit par
- Thierry DUFRÊNE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre
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