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RUIZ JUAN (1285 env.-env. 1350)

« Juan Ruiz, archiprêtre de Hita. » Ces cinq mots du dix-neuvième couplet de son poème, le Libro de buen amor, sont très exactement tout ce qu'on sait du plus grand poète castillan du xive siècle. Deux des manuscrits les plus importants fournissent en outre deux dates : 1330 pour une première rédaction, 1343 pour une version ultérieure et plus étendue. En revanche l'ouvrage renseigne sur l'Espagne entière, et l'homme est au centre des propos du poète.

Bien le dit Aristote, c'est chose véritable : Ce monde pour deux choses laboure. La première, Pour avoir subsistance ; l'autre (non la dernière), C'est pour avoir jouissance de femme délectable.

La faim et l'amour sont ici les moteurs universels et premiers, mis sous la protection d'Aristote. L'œuvre reflète le portrait d'un clerc, bon vivant, mais clerc avant toute chose.

Les multiples visages d'une œuvre

Le livre de l'archiprêtre de Hita (cité de la province de Guadalajara) fut publié pour la première fois en 1790 par Tomás Antonio Sánchez, « bibliothécaire du Roy », en édition expurgée (il le fallait) ; mais il était assez connu, ainsi que l'atteste (outre les copies conservées et les mentions ou allusions d'autres littérateurs) le curieux programme manuscrit d'un jongleur (première moitié du xve siècle) publié par R. Menéndez Pidal dans ses Chroniques générales de 1898 : « Commençons maintenant avec le livre de l'archiprêtre » ; suivent quelques vers.

Les trois principaux manuscrits (G, daté de 1389, conservé à l'Académie espagnole ; T, de la même époque, mais fragmentaire, passé de la cathédrale de Tolède à la Bibliothèque nationale de Madrid ; S, originaire de Salamanque, de la fin du xive siècle, et le plus complet), ainsi que les fragments – assez nombreux – d'autres manuscrits, permettraient la publication d'une édition critique qui fait encore défaut.

Le contenu de cette œuvre singulière qui, d'après M. R. Lida de Malkiel, « n'a pas de parallèle dans aucune littérature de l'Europe occidentale », consiste, selon la même romaniste, en un roman d'amour présenté de façon autobiographique, et sur lequel sont greffés des contes et des fables, pour la plupart d'origine latine et peut-être française, avec quelques récits de souche orientale ; un bon nombre de digressions didactiques – droit civil et droit canon, littérature et musique, et surtout morale – ; la traduction libre d'une comédie latine du xiie siècle, le Pamphilus ; la bataille entre Carnage et Carême, avec le triomphe de l'Amour ; enfin nombre de poésies lyriques, d'inspiration dévote ou burlesque, chansons pour aveugles et pour clercs mendiants. Outre ces ajouts au récit central – le roman de coupe autobiographique comprenant le récit de treize aventures amoureuses différentes –, l'auteur lui-même déclare son livre « ouvert » à tous ceux qui savent rimer, lesquels pourront y ajouter, dit-il, ce que bon leur semblera. On a donc affaire à un ensemble composite, dont les seules constantes sont l'indéniable génie de l'auteur et la verve inépuisable qu'il déploie. Ce caractère exceptionnel explique, du moins en partie, les différentes attitudes de la critique devant cette œuvre déroutante.

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, universités de Buenos Aires et de Paris-Sorbonne, directeur de recherche au C.N.R.S.

Classification

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