RUIZ JUAN (1285 env.-env. 1350)
Les exégèses
La somme des études accumulées sur le Libro est considérable ; on doit à G. B. Gybbon-Monypenny un recensement et une brève analyse des plus importantes.
Une première époque à dominante « historiciste » a voulu voir dans cet ouvrage la transcription de la vie de son auteur. La trace en subsiste dans les opinions sur la « prison » dont parle le poète : s'agit-il d'un épisode réel (prison ecclésiastique, où il aurait pris place par ordre de son archevêque), ou bien d'une métaphorique perte de liberté ? Parle-t-il de ce bas monde, ou fait-il allusion à l'au-delà ? Nombre de critiques parmi lesquels M. R. Lida de Malkiel et Dámaso Alonso se sont exprimés sur ce sujet de façon contradictoire, et même polémique.
La parution des Recherches sur le Libro de buen amor de F. Lecoy marque une date importante. Cette thèse, dont la valeur reste intacte, s'intéresse d'abord à « la tradition du texte », elle analyse ensuite « les sources du poème » (fables, contes), les « développements moraux et théologiques », « l'inspiration goliardique » (parodie de l'office, toute-puissance de l'argent, etc.), triomphe de l'Amour avec l'épisode de Carnage et Carême, et « l'inspiration ovidienne » : l'art d'aimer et le Pamphilus. Ces éléments si divers confèrent au Libro une saisissante singularité, mais l'unité de l'ouvrage peut être néanmoins clairement perçue dans la perspective établie par A. Castro. D'après cet auteur, Juan Ruiz s'est servi de techniques orientales, à la manière des maîtres de l'art mudéjare, qui employaient des principes structuraux et décoratifs arabes dans l'architecture chrétienne : il a mis des contes à l'intérieur d'un conte (principe dit de « l'arc lobé »), les organisant autour d'un personnage central qui n'est autre que l'auteur lui-même. Le modèle de son récit est celui des maqāma arabes qui montrent au premier plan un luron – rhétoricien, poète, grammairien –, lequel, sans les mettre en œuvre, prône la dévotion et la vertu en racontant ses propres aventures. Ce rapprochement, déjà établi en 1894 par F. Fernández y González, a été repris par Castro, et encore développé par M. R. Lida de Malkiel ; cet auteur montre en outre que Juan Ruiz est plus proche des imitations juives des maqāma (xiie-xve s.) que de leur prototype arabe. Selon J. Vernet, l'idée même du « buen amor » serait orientale. Menéndez Pidal a prouvé en 1898 que Buen Amor était bien le titre donné par le poète à son ouvrage ; on peut à ce propos considérer l'hypothèse de J. Guzmán selon laquelle ce livre, qui prêche la chasteté tout en étant un manuel pour séducteurs, serait adressé aux femmes, les « cas » qu'il présente ayant pour fonction de les mettre plus sûrement en garde contre les hommes et contre les entremetteuses. Quoi qu'il en soit, l'interprétation autobiographique du Libro a été définitivement éliminée par F. Rico : toute la partie narrative procède directement d'Ovide et des ouvrages qu'on lui attribuait au Moyen Âge.
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Écrit par
- Daniel DEVOTO : docteur ès lettres, universités de Buenos Aires et de Paris-Sorbonne, directeur de recherche au C.N.R.S.
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