RULFO JUAN (1918-1986)
« Pedro Páramo »
Pedro Páramo, son unique roman, parut en 1955. Rulfo atteint le sommet de son art dans cette œuvre au style elliptique, où se reflètent encore le passage de Jalisco et les mœurs de ses habitants. La suite de tableaux qui forme le récit est portée par un rythme de litanie funèbre aux accents intensément poétiques. À travers ces courtes séquences apparemment désordonnées, des ombres, plus que des personnages, agissent et parlent. Ce chaos disparate retrace, à bâtons rompus, l'histoire de Pedro Páramo, un « caudillo », despote local, disparu depuis longtemps, après avoir abandonné sa famille, et qui est venu s'installer à Comala, un bourg perdu. Son fils, Juan Preciado, parti à sa recherche, arrive à Comala. Il y rencontre de curieux personnages qui connurent Pedro Páramo, dont l'image multiple et insaisissable se profile dans divers récits, souvenirs ou dialogues. Cette évocation, par touches successives et décousues, fait ressurgir un monde d'outre-tombe. L'imagination du lecteur s'égare dans ces chassés-croisés entre l'avenir, le passé, le présent. En fait, Juan Preciado dialogue avec les âmes errantes des anciens compagnons de Pedro Páramo, alors que leurs corps reposent sous terre. Pedro Páramo lui-même est mort depuis longtemps. Son village n'est plus qu'un décor de cauchemar. Au fil de l'enquête anxieuse de Juan Preciado la vie de Pedro Páramo se reconstitue par bribes : ses amours d'enfance avec Susana San Juan qui sera aussi sa dernière épouse, l'héritage qu'il fit d'un rancho misérable, comment il vengea l'assassinat de son père, son mariage avec Dolores Preciado, sa tenace ascension sociale, la mort de son fils le bandit Miguel, sa participation à la révolution de Pancho Villa et des Cristeros, son désespoir, sa rancœur hargneuse et sa déchéance finale avant qu'il ne soit lui aussi assassiné par son propre fils Abundio. La seconde partie du roman est formée par les dialogues qu'échangent dans leur tombe Juan Preciado et la vieille Dorothée. Car Juan Preciado est mort lui aussi quand le récit commence.
À ces dialogues entremêlés des morts s'ajoutent les monologues de Susana San Juan qui, dans sa tombe elle aussi, mais tourmentée encore par la folie, rappelle à grands cris le passé. De tous ces lambeaux de destins, de toutes ces voix hallucinées, parmi tous ces fantômes, se détache graduellement, avec une force obsédante, l'imposante figure de Pedro Páramo, brutal, sanguinaire, sans scrupules, dévoré par la soif du pouvoir et de l'ambition comme une revanche impossible sur le malheur et la malchance. Ces quelques éléments d'une composition hagarde ne suffisent pas à rendre compte de la tonalité sournoisement tragique et de l'aura mythique qui se dégagent de ce livre puissant. « Pedro Páramo, écrit un critique, est le roman d'une mémoire fantastique, magique et réelle. L'apparence du roman – et des nouvelles de Juan Rulfo – est réaliste ; sa véritable substance, onirique. » On retiendra aussi cette appréciation de Carlos Fuentes : « L'œuvre de Juan Rulfo n'est pas seulement la plus haute expression à laquelle soit parvenu jusqu'à maintenant le roman mexicain : à travers Pedro Páramo nous pouvons trouver le fil qui nous conduit au nouveau roman latino-américain et à sa relation avec les problèmes que pose la prétendue crise internationale du roman. »
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
Classification
Autres références
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PEDRO PÁRAMO, Juan Rulfo - Fiche de lecture
- Écrit par Claude FELL
- 833 mots
L'œuvre narrative de l’écrivain mexicain Juan Rulfo (1918-1986) frappe par sa brièveté : un recueil de nouvelles, Le Llano en flammes (1953) ; un roman de quelque cent trente pages, Pedro Páramo (1955) et une longue nouvelle, Le Coq d'or, auxquels on pourrait ajouter quelques textes...