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STÉFAN JUDE (1936-2020)

Né le 1er juillet 1930 à Pont-Audemer (Eure), Jude Stéfan, de son vrai nom Jacques Dufour, a enseigné le français, le latin et le grec au lycée de Bernay.

Quand on lit le premier recueil de poèmes de Jude Stéfan (Cyprès, 1967), on y voit rassemblés les thèmes futurs de l'œuvre : la fascination de la mort, l'amour des femmes et le désir d'oubli, l’obsession de la décrépitude, la vindicte à l'égard de la lâcheté humaine qui fait aussi de l’écrivain un satiriste, enfin l'évocation par bribes, d’un passé révolu – qui prendra souvent l’apparence de tout un fantasmatique univers Mitteleuropa – qui ferait corps avec l'innocence perdue. Une telle insistance dans l'œuvre poétique et narrative de Jude Stéfan n'est possible que parce que s’exprime là bien autre chose que des thèmes ou des souvenirs : plutôt la violence d’une perte, à partir de laquelle pourra se dire, dans toute sa nudité, le simple fait d'exister.

Ces mouvements premiers, où la passion et l'angoisse semblent constamment doublées par le sarcasme et l'ennui, tout le talent de Jude Stéfan aura été de leur insuffler une charge rythmique et émotive d’une grande intensité, dont témoignent ses recueils : Libères, 1970 ; Idylles suivi de Cippes, 1973 ; Aux chiens du soir, 1979 ; Suites slaves, 1983 ; Laures, 1984 ; À la vieille Parque, 1989 ; Prosopopées, 1995 ; Epodes ou poèmes de la désuétude, 1999 ; La Muse Province, 2002 ; Que ne suis-je Catulle, 2010 ; Disparates, 2012. Voici une œuvre qui n'hésite pas à affronter « la défaite du quotidien » (Michaux) et qui simultanément, grâce à la richesse de ses coloris et de ses inflexions, parvient à inclure en soi, pour le faire revivre, ce que la poésie a de meilleur : de Martial et Catulle à Rimbaud, sans oublier Baudelaire, Scève, les grands baroques. L'écriture de Jude Stéfan se veut sardonique, grinçante. Elle interpelle âprement « l'hypocrite lecteur ». Dans le même temps, il lui arrive d’atteindre à une douceur comme brisée, parfois à une transparence rare. Surtout, jusque dans ses syncopes, elle nous parle au plus près, musicalement. Beaucoup de ces poèmes sont aussi de lapidaires récits : moments d'emportement ou de déroute que l'auteur a su développer dans de nombreux recueils de nouvelles (Vie de mon frère, 1973 ; La Crevaison, 1976 ; Les Accidents, 1984 ; Les États du corps, 1986 ; La Fête de la patronne, 1991 ; Le Nouvelliste, 1993 ; Vie de saint, 1998 ; L'Angliciste, 2006 ; L’Idiot de village, 2008). « Pourquoi suis-je moi ? » Jude Stéfan ne fournit, bien sûr, aucune réponse à cette question. Il se contente de la ressasser, d'en méditer tout le poids d'énigme et de douleur mêlées, y compris dans des pages à caractère pseudo-autobiographique (Faux Journal, 1986 ; Dialogue des figures, 1988 ; Senilia, 1994 ; Pandectes, ou le Neveu de Bayle, 2008).

Jude Stéfan meurt à Orbec (Calvados) le 11 novembre 2020.

— Gilles QUINSAT

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