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JUGEMENT

L'analyse logique du jugement

L'analyse du jugement s'est précisée au cours de l'histoire à travers une explicitation de sa structure propositionnelle. Ébauchée, d'une manière fondatrice mais incomplète, par Aristote, elle a été complétée et repensée par les écoles ultérieures. Aristote voit dans le jugement (l'ἀπόϕαυσις) la structure intermédiaire entre celle des concepts, qui sont ses composantes, et celle du raisonnement, qui est une ordonnance de jugement servant de prémisses et de conclusions. Cette conception du jugement comme relation entre les concepts explique le privilège qu'il accorde à la « forme catégorique », où le terme qui a la fonction de sujet et celui qui fait fonction de prédicat sont unis par la copule est, sur laquelle tombent les qualités de l'affirmation ou de la négation et les modalités du possible ou du nécessaire. Mais l'adoption de cette forme engage aussi toute une conception du discours démonstratif, qui, selon la logique d'Aristote, développe les propriétés de la substance en suivant l'ordre des propriétés essentielles et des propriétés secondes dépendantes des premières. Le jugement, comme apophansis, est littéralement le développement du contenu des concepts et l'attestation d'une liaison ontologique désignée par la copule.

Avec la logique stoïcienne, l'analyse progresse vers des vues plus modernes. Le jugement (ἀξίωμα) est interprété, à l'intérieur d'une doctrine du langage, comme interconnexion des signes et liaison de ceux-ci avec les objets signifiés. La partie « catégorématique » de la proposition, qui peut être verbale (dans « X se promène ») aussi bien que nominale (dans « X est un tyran »), se détache de la partie référentielle, qui concerne les individus (« Dion se promène ») ou les collections d'individus qui sont affectés par le prédicat. D'autre part, la connexion des signes catégoriels introduit des jugements complexes, synthèses de jugements élémentaires, tel : « X est P ou X est Q » et « si X est P, alors X est Q. » La forme judicative ainsi élargie devient plus apte à décrire le nexus des événements. En outre, la proposition se dégage, sous le nom de λέξις, de l'ensemble de l'assertion, de sorte qu'elle figure un invariant de sens auquel peuvent s'ajouter les clauses modales interrogatives : la forme « le sage est heureux » entre dans la composition des énoncés complets « il n'est pas vrai », « il est nécessaire », « est-il vrai ? »... « que le sage soit heureux ». De plus, l'attention du logicien se porte sur l'agencement des opérateurs connectant les propositions, et il interprète le raisonnement comme un calcul des propositions, tel le syllogisme disjonctif : Si P ou Q, et si non-P, alors Q.

Ce sont les principes qu'a développés la doctrine moderne de la proposition. Elle pense celle-ci comme le « remplissement » d'un schème abstrait, la forme ou fonction propositionnelle, qui est pur cadre de liaison, et qui devient proposition, capable de vérité ou de fausseté, par l'introduction d'un argument concret, ou par la quantification de la forme ; ainsi, « pour un x, être plus grand que 2 » est une forme qui engendre une proposition vraie quand x est remplacé par 3, fausse quand x est remplacé par 1 – ou une autre proposition vraie quand on adjoint le quantificateur existentiel : « Il existe quelque x, qui est plus grand que 2. » En même temps que se précise la valeur des quantificateurs, universel (pour tout x...) ou existentiel (il existe au moins un x, tel que...), s'amorce la distinction de deux ordres de vérités, l'une qui est indépendante des références à la réalité, l'autre qui dépend de cette référence, au lieu qu'Aristote[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille

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