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JUGEMENT

La philosophie des propositions

La réflexion moderne sur les formes propositionnelles et leur statut, issue des analyses des logiciens, se maintient sur les plans techniques et se dispense des hypothèses sur le lien du jugement avec la subjectivité ou la conscience. Cependant, les points de vue techniques appellent leur problématique propre. Lorsque la fonction relationnelle de la proposition s'est substituée, comme on l'a dit, à la fonction compréhensive du concept, l'entité propositionnelle a pris la place de base dans l'économie des êtres logiques. En effet, les rapports de vérité s'établissent dans la composition ou dans la déduction des propositions ou dans la mise en correspondance de celles-ci avec l'expérience. Avant toute vérification, la proposition est l'unité d'un sens formulable et communicable. D'autre part, elle est la lexis invariante sur laquelle opèrent les quantifications et les prédicats modaux. Toutefois, ces propriétés qui marquent le rôle opératoire des propositions ne lui confèrent pas nécessairement une existence logique indépendante. Il y a là l'amorce d'un problème : un certain « atomisme logique », qui accordait à la proposition une valeur véritable d'élément, a été soumis ultérieurement à des critiques pertinentes.

D'une certaine manière, les philosophies logiques de Frege ou de Russell marquent l'apogée de cette vue atomistique. Il paraît naturel d'assigner à la proposition une signification et une vérité qui lui soient attachées en propre, de lui donner un contenu idéal qui est son sens, et une référence autonome au réel qui est sa vérité. Il semble même, à ces philosophes, que cela soit indispensable pour éviter les écueils d'une conception purement linguistique de l'énoncé et d'une conception purement pragmatique de la certitude. Ils cherchent, dès lors, à délimiter le domaine des propositions fondamentales qui garantissent la vérité des autres propositions : qu'il s'agisse des énoncés décrivant les données immédiates du champ sensible, ou des énoncés dotés d'une évidence axiomatique, ou des postulats concernant le réel qui rendent possibles les inférences inductives. Le savoir est, littéralement, une hiérarchie de propositions, rangées dans l'ordre où les propriétés de base fondent les propriétés construites sur elles.

Cependant la critique logique, comme en témoigne la lecture des ouvrages de Quine, a contesté ces assises de la doctrine. Elle a mis en relief de multiples raisons de « relativité », qui marquent la dépendance de la proposition vis-à-vis des champs linguistiques ou pratiques qui l'englobent, et vis-à-vis des systèmes scientifiques dans lesquels elle prend place. Le sens de la proposition ne dépasse pas le champ d'interprétation ou de traduction de tel ou tel code linguistique. En outre, les propositions sont situées à l'intérieur des systèmes d'expressions comme les mailles d'un réseau dont les recoupements et les interconnexions se renouvellent. Ainsi les systèmes axiomatisés exigent bien la compatibilité des expressions primitives prises comme « axiomes », mais nullement la vérité indépendante de celles-ci. L'effet de relativité s'accroît lorsqu'on considère les théories en devenir : entre les lois interprétatrices et les faits qu'elles interprètent se répercute constamment le mouvement des interprétations. Il faut parler d'un enchaînement de formulations plus ou moins consolidées plutôt que d'une hiérarchie stable des propositions.

La critique atteint même la notion d'un « sens » propositionnel, ou les notions qui relèvent du langage du sens, de l'« intension », comme les notions modales. Ces notions cèdent leur place aux notions proprement syntaxiques ou extensionnelles, qui décrivent l'agencement[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille

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