- 1. Proposition et assertion, expression et déclaration, croyance et adhésion
- 2. L'analyse logique du jugement
- 3. Aspects psychologiques ou axiologiques
- 4. La philosophie du jugement
- 5. La philosophie des propositions
- 6. Influence de la théorie du langage sur les doctrines de la proposition et du jugement
- 7. Bibliographie
JUGEMENT
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La philosophie des propositions
La réflexion moderne sur les formes propositionnelles et leur statut, issue des analyses des logiciens, se maintient sur les plans techniques et se dispense des hypothèses sur le lien du jugement avec la subjectivité ou la conscience. Cependant, les points de vue techniques appellent leur problématique propre. Lorsque la fonction relationnelle de la proposition s'est substituée, comme on l'a dit, à la fonction compréhensive du concept, l'entité propositionnelle a pris la place de base dans l'économie des êtres logiques. En effet, les rapports de vérité s'établissent dans la composition ou dans la déduction des propositions ou dans la mise en correspondance de celles-ci avec l'expérience. Avant toute vérification, la proposition est l'unité d'un sens formulable et communicable. D'autre part, elle est la lexis invariante sur laquelle opèrent les quantifications et les prédicats modaux. Toutefois, ces propriétés qui marquent le rôle opératoire des propositions ne lui confèrent pas nécessairement une existence logique indépendante. Il y a là l'amorce d'un problème : un certain « atomisme logique », qui accordait à la proposition une valeur véritable d'élément, a été soumis ultérieurement à des critiques pertinentes.
D'une certaine manière, les philosophies logiques de Frege ou de Russell marquent l'apogée de cette vue atomistique. Il paraît naturel d'assigner à la proposition une signification et une vérité qui lui soient attachées en propre, de lui donner un contenu idéal qui est son sens, et une référence autonome au réel qui est sa vérité. Il semble même, à ces philosophes, que cela soit indispensable pour éviter les écueils d'une conception purement linguistique de l'énoncé et d'une conception purement pragmatique de la certitude. Ils cherchent, dès lors, à délimiter le domaine des propositions fondamentales qui garantissent la vérité des autres propositions : qu'il s'agisse des énoncés décrivant les données immédiates du champ sensible, ou des énoncés dotés d'une évidence axiomatique, ou des postulats concernant le réel qui rendent possibles les inférences inductives. Le savoir est, littéralement, une hiérarchie de propositions, rangées dans l'ordre où les propriétés de base fondent les propriétés construites sur elles.
Cependant la critique logique, comme en témoigne la lecture des ouvrages de Quine, a contesté ces assises de la doctrine. Elle a mis en relief de multiples raisons de « relativité », qui marquent la dépendance de la proposition vis-à-vis des champs linguistiques ou pratiques qui l'englobent, et vis-à-vis des systèmes scientifiques dans lesquels elle prend place. Le sens de la proposition ne dépasse pas le champ d'interprétation ou de traduction de tel ou tel code linguistique. En outre, les propositions sont situées à l'intérieur des systèmes d'expressions comme les mailles d'un réseau dont les recoupements et les interconnexions se renouvellent. Ainsi les systèmes axiomatisés exigent bien la compatibilité des expressions primitives prises comme « axiomes », mais nullement la vérité indépendante de celles-ci. L'effet de relativité s'accroît lorsqu'on considère les théories en devenir : entre les lois interprétatrices et les faits qu'elles interprètent se répercute constamment le mouvement des interprétations. Il faut parler d'un enchaînement de formulations plus ou moins consolidées plutôt que d'une hiérarchie stable des propositions.
La critique atteint même la notion d'un « sens » propositionnel, ou les notions qui relèvent du langage du sens, de l'« intension », comme les notions modales. Ces notions cèdent leur place aux notions proprement syntaxiques ou extensionnelles, qui décrivent l'agencement des formules dans un système et la correspondance de celles-ci avec les classements des objets, car ces notions sont plus maniables pour le calcul logique. Ainsi, lorsqu'on introduit dans une expression les valeurs sémantiques de la croyance ou de la nécessité, il n'est plus possible de réaliser des opérations logiques normales comme la substitution de termes désignant les mêmes objets : les termes « 12 » et « le nombre des apôtres » sont bien équivalents dans leur extension ; mais on ne saurait traduire, sans altérer la vérité, des énoncés comme « il est certain que 12 est supérieur à 7 », « il est nécessaire que 12 soit supérieur à 7 » dans des énoncés de même forme où « le nombre des apôtres » serait substitué à « 12 ». Devant ces apories du calcul, il paraît indispensable, comme le fait Carnap, de séparer les langages formels, opérant sur des entités strictement définies, des langages empiriques, qui opèrent sur les dénotations d'objets, car les premiers procurent des équivalents aux liaisons modales que les seconds ne fournissent pas. Ou bien il faut adopter la solution plus radicale de Quine, qui proscrit les termes « intensionnels » du langage de la science, avec le terme de « proposition » lui-même, qui est leur support ; le logicien devrait prendre l'expression dans la littéralité de sa forme, dans les limites strictes de ses applications, dans le champ toujours relatif de ses références linguistiques. Mais une tendance importante, illustrée par Montague, Hintikka, consiste à coordonner les aspects intensionnels et extensionnels des énoncés en les répartissant sur les objets des mondes possibles. L'assertion « un mouvement sans perte d'énergie serait éternel » ne concerne pas les objets du monde physique, mais des objets idéaux pensables dans un monde possible.
Il est donc possible que la proposition et ses corrélatifs sémantiques, le sens, ou la vérité, isolable, ne soient pas véritablement des êtres de la logique, si du moins celle-ci se borne au langage de la preuve. En revanche, il pourrait leur rester une existence épistémologique : toute recherche repose sur des hypothèses, sur des propositions dont le sens déborde leur expression littérale, et qui ne se résolvent que progressivement dans les structures axiomatiques et empiriques du discours positif. Considérer ainsi la proposition, c'est-à-dire comme la projection d'un possible ou comme un postulat sur le réel, ce serait rejoindre d'une certaine manière ce que le philosophe dit du jugement, qui est bien pour lui une mesure prospective et estimative de la vérité, plutôt qu'une formulation définitive de celle-ci.
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Écrit par
- Noël MOULOUD : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille
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