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JUGEMENT

Influence de la théorie du langage sur les doctrines de la proposition et du jugement

Les développements de la doctrine du langage, qui ont suivi les indications de Wittgenstein et qui ont marqué des œuvres comme celles de Ryle, Strawson, Austin, Searle, ont jeté des vues nouvelles sur le statut du jugement. Elles tiennent à une considération plus large des liaisons de sens dans le discours (sémantique) et à un intérêt plus poussé pour les objectifs de l'emploi des formes linguistiques (pragmatique).

L'analyse s'éloigne de la canonique du jugement, qui avait été établie surtout en regard des objectifs logiques de la fondation des valeurs de vérité de l'énoncé et de la composition de ces valeurs de vérité. Mais cette canonique ne couvre pas tous les énoncés, dont la valeur de vérité peut être lacunaire ou indéterminée. « Le premier président des États-Unis qui sera un banquier sera contesté » laisse dans l'indétermination l'existence d'un référent de l'expression. « Tout lecteur assidu de cet auteur sera satisfait de ce livre » est une expression qui présente une liaison intentionnelle de concepts sans circonscrire la classe extensionnelle des individus qui tomberont sous la relation. L'analyse moderne sera attentive aux raisons épistémiques, pragmatiques et en général discursives de cet « affaiblissement » de la doctrine canonique.

L'acte de juger entre dans des complexes épistémiques du type de la croyance, du savoir, qui les uns et les autres représentent des adhésions fortes à la réalité ou la vérité. Dans ces contextes, le jugement glisse vers une fonction arbitrale – il estime le degré de cohérence d'un ensemble de thèses qui sont possibles ensemble, ou il évalue, entre deux thèses, laquelle est la plus soutenable. C'est par une adjonction de déterminations qui ne sont pas contenues dans le jugement que le locuteur parvient à des thèses assertives, dans lesquelles interviennent les instances de l'action et du concours des actions ou la poursuite et l'échange d'un argument de preuve. Le jugement s'étale entre les pôles de la présomption et celui de la décision. D'un autre côté, le pragmaticien nous met en présence des différentes performances que peut réaliser une phrase du discours quand elle passe au stade de l' énonciation. Ces objectifs sont tour à tour d'informer, de signaler, d'alerter, de suggérer, de prescrire ; et le complexe propositionnel occupe lui-même dans cette performance un rôle occasionnel, instrumental, dépendant de l'intention de la phrase, de la « sentence ». « La neige est blanche » peut formuler une caractéristique générale ou présenter une situation de circonstance. « La glace est fragile » peut être une information ou un avertissement. La même phrase peut prescrire une procédure ou constater un usage, comme « les cercles sur une carte désignent les villes ». Une phrase peut ne poser ni une nécessité ni une évidence isolable, mais prendre sens par la réunion de critères admis par une société : « X est un champion d'échecs de haut niveau ». Ces révisions, faites dans le sens pragmatique, reportent la «   proposition » de l'état d'un contenu de pensée éternel à l'état d'une orientation actualisée de l'intention ; et elles introduisent dans le jugement affirmé les objectifs renouvelés de la communication.

Ces traits de relativité seront renforcés par une réflexion sur la totalité et sur la progression du discours qui englobera les actes de l'assertion à titre de phases. Les énoncés judicatifs recevaient de Kant, Frege et Russell la fonction de répartir le vrai et le faux, de décider entre l'être et le non-être. C'est leur assigner dans le discours une position terminale, ou un mode d'existence autonome, qui est, en fait, une mise en[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université des sciences humaines, lettres et arts de Lille

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