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BARBEY D'AUREVILLY JULES (1808-1889)

Les passions déchaînées

On voit mieux comment une telle critique s'accorde à l'œuvre romanesque qui l'emporte de beaucoup sur elle. On peut l'envisager dans son déroulement : une lente maturation à travers les premières nouvelles, Le Cachet d'onyx, 1831 ; Léa, 1832 ; La Bague d'Annibal, 1843 ; un roman psychologique et mondain, L'Amour impossible, 1841. La conversion, qui est retour à la foi et aux souvenirs de l'enfance, se produit au cours de la composition d'Une vieille maîtresse (1845-1850), dont la seconde partie annonce l'œuvre postérieure : L'Ensorcelée, Le Chevalier des Touches, Un prêtre marié, Les Diaboliques, Une histoire sans nom (1882).

On a beaucoup parlé du « normandisme » de Barbey d'Aurevilly, trait profond, mais qu'il faut bien comprendre. Il a voulu peindre la Normandie, revenir dans certains romans à l'histoire de la chouannerie normande : les lieux étaient ceux de son enfance, chargés pour lui d'émotions et de souvenirs ; l'atmosphère convenait aux passions déchaînées qu'il souhaitait peindre. Seul Le Chevalier des Touches reste fidèle à cette conception historique du roman. L'Ensorcelée y échappe, qui est l'aventure d'un prêtre, ancien chouan – héros luciférien – et d'une femme qui s'éprend de lui et en meurt. Le même type de héros se retrouve dans Un prêtre marié, et le même « amour impossible » entre les deux jeunes gens. Toutes Les Diaboliquesprésentent des passions violentes : amour, vengeance, crime... Tous les héros de Barbey – ce trait donne à l'œuvre son unité – sont enfermés dans une insurmontable solitude ; tous, sauf deux, les personnages du « Bonheur dans le crime » ; encore la retrouvent-ils, plus profonde, dans la complicité.

Amour impossible, solitude, inquiétude et angoisse... des thèmes modernes dominent cette œuvre romanesque. Au-delà du romantisme, qui les avait déjà exploités, d'Aurevilly les situe dans un univers religieux où ils prennent toute leur force tragique. Paradoxalement, c'est en effet le catholicisme qui introduit dans cette œuvre l'élément tragique ; la solitude n'y est plus seulement l'impossible communication des êtres, elle est aussi l'angoisse de l'homme qui sent Dieu inaccessible. Univers du péché, univers janséniste, on l'a dit souvent. La grâce en est absente. Il reste à mourir dans une déréliction totale (comme cette « sainte », Calixte, à la fin d'Un prêtre marié) ou à se dresser dans une attitude blasphématoire qui est encore affirmation de Dieu. Le blasphème et le sacrilège, note le romancier, n'ont de sens que si l'on croit en Dieu.

Ces grands mouvements donnent son sens vrai à une œuvre qui doit beaucoup encore à l'imagerie romantique, qui a subi très profondément l'influence de Byron ou même celle de Walter Scott. En dépit de ces traits d'époque et de son dandysme, Barbey d'Aurevilly est un des premiers représentants de ce qu'on appellera plus tard le « roman métaphysique ».

— Jacques PETIT

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Besançon

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<em>Jules Barbey d’Aurevilly</em>, Carolus-Duran - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Jules Barbey d’Aurevilly, Carolus-Duran

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