CHÉRET JULES (1836-1933)
Le créateur de l'affiche moderne fut sans conteste Jules Chéret. Pendant sept ans, il pratiqua en tant qu'artisan la chromolithographie en Angleterre. C'est là qu'il apprit à travailler sur machines de grand format et à tirage rapide et qu'il eut l'idée d'un nouvel art mural en voyant les immenses placards publicitaires des cirques américains en tournée.
Chéret avait suivi les cours de l'École des beaux-arts de Paris, et il en était sorti avec des connaissances techniques solides. Ses goûts le portaient vers la peinture française du Grand Siècle — Watteau et Fragonard, en particulier —, et surtout vers l'art aérien de Giambattista Tiepolo dont la reproduction des plafonds devait, plus tard, orner les murs de son atelier.
Dès son retour en France, en 1866, il commence à réaliser des affiches qui tant par leur format (il pouvait atteindre 140 × 240 cm) que par la vigueur de leurs couleurs « crèvent » les murs. Par la pratique, il découvre intuitivement les règles de l'affichage — règles que définiront plus tard avec précision Cappiello puis Cassandre pour en faire la base d'un enseignement. À son époque, le divorce entre l'art et la publicité n'est pas encore consommé. C'est d'ailleurs bien à l'expression d'un art populaire que vise Chéret. Deux caractéristiques dominent ses affiches : le mouvement — on devrait plus précisément parler d'envol — et la présence de la femme, la « chérette » comme on l'appelait familièrement, dont l'inspiratrice était la danseuse et comédienne d'origine danoise, Charlotte Wiehe.
Sa première affiche lithographique sera réalisée en Angleterre pour Orphée aux Enfers, d'Offenbach (1858). En France, la première affiche importante qu'il crée sera celle du Bal Valentino (1869), où il fait preuve d'un sens très aigu de la composition et du rapport entre le texte et l'image. On y voit, débordant d'un cercle noir, une sorte d'Arlequin rouge, flanqué de deux femmes en tenue légère. La disposition concentrique de l'ensemble donne l'impression d'une grande poussée dynamique.
L'affiche créée pour le groupe dansant Les Girard (1879) montre que le goût de Chéret pour le mouvement peut alors frôler l'extravagance : on y voit, en plus du groupe proprement dit, un petit personnage se glisser entre les jambages des lettres du nom Girard. Dans ces premières œuvres, c'est encore le trait qui domine ; le chromatisme est encore fruste. À mesure qu'il maîtrisera de mieux en mieux l'instrument d'impression dont il dispose, il exprimera, avec la même force mais avec un raffinement croissant, un aspect vaporeux, ascensionnel dans ses compositions dont la femme est le centre. Ce style va connaître son apogée avec la série de six affiches réalisées de 1891 à 1894 pour la Saxoléine, marque d'un pétrole lampant. La flamme de la lampe est la femme même qui la porte, femme dans une pose chaque fois différente, comme une arabesque autour de l'objet. Chéret dirige alors l'imprimerie Chaix, où ses affiches sont réalisées et tirées dans les meilleures conditions. Sous l'impulsion des galeries Arnould, Pierrefort et, surtout, Sagot, l'affiche devient un objet de convoitise pour les collectionneurs. La revue La Plume publie des catalogues. Et Chéret, considéré alors comme artiste à part entière, est situé très haut dans l'estime des amateurs. Son œuvre va d'ailleurs exercer une influence sur les peintres de son époque qui voient souvent dans l'affiche un moyen d'élargir leur expression et leur audience. L'échange publicité-art graphique et peinture est alors intense. Lautrec, Bonnard, Vuillard travaillent aussi pour la rue. Seurat appréciera suffisamment certaines de ses compositions pour s'en inspirer. Chéret réalise aussi des œuvres décoratives[...]
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Écrit par
- Marc THIVOLET : écrivain
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Média
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