FERRY JULES (1832-1893)
« Ferry le Tonkinois »
La France lui doit, par ailleurs, les débuts de l'expansion coloniale, à une époque où celle-ci est loin d'être populaire dans la classe politique comme dans l'opinion. Il envoie, en Tunisie, une première expédition qui lui permet d'imposer le protectorat de la France par le traité du Bardo (12 mai 1881), puis une seconde qui pacifie l'Ouest tunisien (août-nov. 1881). Mais c'est surtout lors de son second ministère, l'un des plus longs de la IIIe République (21 févr. 1883-30 mars 1885), que sa politique coloniale prend toute son ampleur, et suscite bien des polémiques. Abandonnant le portefeuille de l'Instruction publique pour celui des Affaires étrangères à partir du 20 novembre 1883, il encourage les conquêtes de Pierre Savorgnan de Brazza au Congo, il fait bombarder et occuper Tamatave à Madagascar et, surtout, il finance une grande expédition au Tonkin, sous les ordres de l'amiral Courbet. Par le traité de Huê (25 août 1883), il obtient le protectorat de la France sur l'Annam et le Tonkin ; puis, un nouveau traité, signé le 6 juin 1884, donne aux Français le droit d'occuper militairement ces territoires. Mais la conquête provoque une guerre contre la Chine alors suzeraine, qui rend Jules Ferry de plus en plus impopulaire.
Sa politique coloniale suscite, en effet, les oppositions croisées des libéraux conservateurs, qui déplorent le coût exorbitant des expéditions, de la droite nationaliste, qui y voit l'abandon de la préparation de la revanche sur l'Allemagne, et aussi de la gauche radicale, incarnée par Georges Clemenceau, qui s'y oppose violemment au nom de la morale et au nom du réarmement national. L'évacuation de la ville de Lang Son par les troupes françaises, connue à Paris le 29 mars 1885, provoque une grande manifestation populaire devant la Chambre des députés, où Clemenceau accuse Ferry de haute trahison, et l'apostrophe : « Nous ne vous connaissons plus, nous ne voulons plus vous connaître. » Au terme d'un débat houleux, le gouvernement Ferry est renversé, le 30 mars 1885, par 306 voix contre 149.
Devenu « Ferry le Tonkinois », le père de l'école publique sera victime, jusqu'à sa mort, d'une constante animosité de l'opinion. Il persiste, néanmoins, à défendre l'idée coloniale, notamment lors d'un grand discours à la Chambre, prononcé à propos de Madagascar le 28 juillet 1885, dans lequel il invoque « le devoir de civiliser les races inférieures ». Il fera paraître, en 1890, un opuscule intitulé Le Tonkin et la mère-patrie, justifiant la colonisation.
Lâché par les radicaux et pris à partie par les pamphlets de la droite nationaliste, qui dénoncent les liens de son frère Charles avec les milieux d'affaires coloniaux, Jules Ferry est désormais écarté des sommets du pouvoir. Le 3 décembre 1887, il n'obtient que 212 voix à l'élection présidentielle, contre 303 pour Sadi Carnot, qui est pourtant un personnage de moindre envergure. Une manifestation des boulangistes contre la corruption du régime, organisée la veille, avait pris pour cible « Ferry le Tonkinois » et, une semaine plus tard, il est blessé par balle par un boulangiste. Chef de file de l'opposition au général Boulanger, qu'il traite de « César de café-concert », il perd son siège des Vosges lors des élections législatives du 22 septembre 1889. Néanmoins, à partir du 4 février 1891, il va représenter ce département au Sénat, où il présidera la commission de l'Algérie, avant d'être élu à la présidence de cette assemblée, le 24 février 1893. C'est la reconnaissance de sa modération de la part d'une chambre qui l'avait pourtant combattu lorsqu'il était président du Conseil, mais qu'il avait défendue contre les attaques des radicaux, obtenant une révision limitée du[...]
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Écrit par
- Jean GARRIGUES : professeur à l'université d'Orléans
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Média
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