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JULES ISAAC (A. Kaspi) Fiche de lecture

« Vraiment, je ne suis pas étiquetable », estimait Jules Isaac (1877-1963) au terme d'une existence tout entière traversée par « la passion de la vérité ». L'étude (Plon, 2002) qu'André Kaspi a consacrée à l'historien et acteur du rapprochement judéo-chrétien confirme ce jugement, en mettant parfaitement en lumière ce qui le fonde. Le co-auteur d'un célèbre cours d'histoire, que l'on pourrait ranger parmi les rédacteurs de manuels ou directeurs de collection, n'occupe ainsi qu'un chapitre (le troisième) sur les sept dont cette biographie est formée. Une riche documentation – fournie par les écrits autobiographiques, les archives de Jules Isaac, les Cahiers de l'Association des amis de Jules Isaac que préside aujourd'hui André Kaspi – a permis à ce dernier de montrer quand, et comment, celui qui se nommait un « corsaire de la vérité » est monté « à l'abordage des hautes nefs cuirassées de la vérité officielle, traditionnelle, conventionnelle, apparemment vénérable, intérieurement véreuse ».

Les premiers combats livrés par l'ancien élève du lycée Lakanal, issu d'un milieu israélite, laïc, et vigoureusement républicain, sont menés au côté de Péguy, au nom de la justice sociale et de la révolution morale. Ils ont pour contexte l'Affaire, les luttes entre antidreyfusards et dreyfusards qui se retrouvent, avec les « péguystes », à la librairie Bellais. La rencontre de l'antisémitisme, qui, rappelle opportunément André Kaspi, n'est pas issu de l'affaire Dreyfus mais au contraire l'a fait naître, est contemporaine d'un patient apprentissage du métier d'historien. Agrégé d'histoire en 1902, Jules Isaac enseignera dans différents lycées de province (Nice, Sens, Saint-Étienne, Lyon) avant d'être nommé à Paris au collège Rollin, et, finalement, au lycée Saint-Louis en 1921. À son ami Péguy, il avait proposé de donner aux Cahiers de la quinzaine une biographie d'Étienne Dolet ; elle ne sera pas écrite ; la Première Guerre mondiale fera passer Jules Isaac de la recherche d'informations sur le xvie siècle à l'histoire immédiate.

Après l'évocation de ses débuts, les trois chapitres, respectivement intitulés « La Grande Guerre », « Le Malet-Isaac », « Militer pour la paix », mettent en scène le combattant dressé contre le « bourrage de crâne » et l'historien toujours soucieux d'établir la vérité historique. Comme J. N. Norton Cru, le sergent Isaac, blessé près de Verdun en 1917, s'interrogera sur la valeur des témoignages de guerre ; le conflit terminé, il en viendra aussi, comme nombre de ses contemporains, à l'examen critique des responsabilités – qu'il estimera partagées entre les belligérants. Chargé, par les éditions Hachette, d'abord de rédiger des aide-mémoire d'histoire, ensuite d'adapter les sept volumes du cours d'Albert Malet au nouveau programme de 1909, il sera l'artisan d'une sorte de révolution pédagogique qui n'a pas seulement consisté en une majoration de l'iconographie et dans une part plus largement faite aux faits économiques et techniques.

Retraçant la longue carrière du cours Malet-Isaac, André Kaspi souligne fortement ce qui en fait l'originalité : la réduction du récit historique au profit du document, le souci de former l'esprit critique par la confrontation des points de vue. Nommé inspecteur général en 1936 par Jean Zay, Jules Isaac s'efforcera de lutter contre les stéréotypes nationaux, au moyen de rencontres entre professeurs allemands et français pour la confection des manuels d'histoire. L'époque n'était guère propice à ce type de collaboration, mais ces initiatives anticipent ce qui devait être effectivement pratiqué après 1945.[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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