MICHELET JULES (1798-1874)
La prédication républicaine
Cependant, les intentions de Michelet outrepassaient celles de l’historien et de l’écrivain. Elles étaient devenues religieuses. La France du Grand Ferré, de la Pucelle et de Danton ne pouvait-elle pas fonder, sous le nom de République, cette Église nouvelle que tant d'âmes romantiques, déçues par la théologie traditionnelle, appelaient de leurs vœux ? Michelet s'en persuada peu à peu. Soucieux de répondre à l'attente mystique de la jeunesse des écoles qui se donnait rendez-vous, depuis 1838, à ses cours du Collège de France, il commença par dénoncer, dans Les Jésuites (1843) – en collaboration avec Edgar Quinet – et Le Prêtre, la femme et la famille (1845), la trahison de l'Église romaine, infidèle depuis longtemps au peuple qui venait chanter, prier et fêter Dieu dans les cathédrales. À la foi mécanisée de la Compagnie de Jésus, il opposa les droits de l'instinct, la « tradition de la fraternité universelle », que l'Inde aurait « mieux gardée » que les nations de l'Occident. Il soutint sérieusement que la Révolution était une seconde Révélation et que, mettant fin au règne de la grâce, elle avait inauguré une nouvelle ère de l'histoire du salut, celle de la justice. Il fit l'exégèse de ses œuvres, afin d'assurer au dogme de l'« Église républicaine » le fondement historique qui manquait à l'utopie des saint-simoniens ou des fouriéristes, coupables de « procéder par voie d'écart absolu ».
Quelle ne fut pas l'espérance de l'apôtre de la République lors des journées de février 1848 ! Sa déconvenue ne fut que plus cruelle lorsque les soldats de Cavaignac, en juin, tirèrent sur les ouvriers du faubourg Saint-Antoine. Convaincu que la France ne pourrait vivre en démocratie aussi longtemps qu'elle négligerait de définir sa foi et d'en confier la propagation à un enseignement populaire, il assista sans surprise au coup d'État du 2 décembre 1851. Il refusa de prêter serment à l'empereur, perdit sa chaire du Collège de France et son poste de directeur de la section historique des Archives. S'il ne prit pas le chemin de l'exil, il s'enferma du moins dans une retraite volontaire, loin de Paris qui, pour lui, n'était plus Paris.
Michelet, pas plus que Hugo, n'était homme à languir dans le découragement. Une indomptable énergie l'habitait, qui l'incitait à se réclamer de Prométhée ou d'Hercule. Elle se trouva mobilisée par la présence d'une jeune femme, Athénaïs Mialaret, qu'il avait épousée en 1849, après dix années d'un veuvage difficile. Il acheva donc, à Nantes, en allant jusqu'au bout de ses forces, la rédaction de l'Histoire de la Révolution (1852-1853), exploitant, pour raconter les guerres de Vendée, l'information inédite que son entourage républicain lui fournissait. Il souhaita populariser, avec les Légendes démocratiques du Nord (1854), l'héroïsme des peuples européens luttant pour leur liberté. Il reprit, enfin, son Histoire de France, délaissée depuis dix années. L'Histoire de la Renaissance (1855), but d'une longue recherche enfin conclue, fut pour lui comme un acte de foi dans la vie et l'avenir. Il crut renaître lui-même en retrouvant Luther, dont il avait déjà reconstitué et publié les Mémoires (1835), Rabelais et Michel-Ange.
Une nouvelle inspiration s'emparait de lui peu à peu, moins âpre, plus sereine. Elle lui avait dicté Le Banquet – commencé en 1854 et qui sera publié à titre posthume par son épouse, en 1879 – et il se sentait la conscience en paix depuis qu'il avait convié à une Cène fraternelle tous les fidèles dispersés de l'Église républicaine et que, se rappelant Babeuf, il leur avait prêché un socialisme « de volonté », plus personnel que politique. Il fallait bien[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paul VIALLANEIX : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, directeur du centre de recherches révolutionnaires et romantiques, professeur de littérature française à l'université de Clermont-II
Classification
Médias
Autres références
-
LA SORCIÈRE, Jules Michelet - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 871 mots
Publiée en 1862 chez Dentu et Hetzel, La Sorcière peut être considérée, après L'Amour (1858) et La Femme (1859) comme le troisième volet d'une trilogie consacrée par Jules Michelet (1798-1874) à la femme, dont il avait également célébré la grandeur dans Jeanne d'Arc (1853)...
-
ANACHRONISME, histoire
- Écrit par Olivier LÉVY-DUMOULIN
- 1 413 mots
Et pourtant, le métier d'historien repose tout autant sur une démarche anachronique ;Jules Michelet le rappelle dans sa célèbre Préface à l'Histoire de France (1869). L'œuvre n'est-elle pas colorée des sentiments du temps de celui qui l'a faite ? Et d'évoquer l'émotion de la France envahie... -
HISTOIRE (Histoire et historiens) - Vue d'ensemble
- Écrit par Olivier LÉVY-DUMOULIN
- 1 099 mots
L'histoire comme justification de la politique, comme caution de la mémoire des groupes, l'histoire redécouverte par les autres sciences humaines et sociales sont autant de signes qui témoignent de l'actualité du travail des héritiers d'Hérodote. Les articles qui suivent entendent...
-
HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE, Jules Michelet - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-François PÉPIN
- 760 mots
L'Histoire de la Révolution française, de Jules Michelet (1798-1874), a été publiée de 1847 à 1853. L'œuvre est à la fois riche d'une documentation collationnée par l'auteur, directeur de la section historique des Archives depuis 1831, et fécondée par le parti pris de...
-
HISTOIRE MONDIALE DE LA FRANCE (dir. P. Boucheron) - Fiche de lecture
- Écrit par Dominique KALIFA
- 1 130 mots
La publication en janvier 2017 de l’Histoire mondiale de la France constitue un surprenant événement, à la fois éditorial, scientifique et politique. Avec cent mille exemplaires vendus en quelques mois, c’est d’abord un extraordinaire succès public, rare pour un livre d’universitaires, récompensé...
- Afficher les 11 références