VALLÈS JULES (1832-1885)
Vallès tenait à demeurer un inclassé, même parmi les révoltés ; il y a parfaitement réussi. Historiens et critiques littéraires tentent vainement de lui coller une étiquette ; aucune ne lui convient. « Révolté pur jus » mais non anarchiste, fervent de la Sociale mais se tenant à l'écart des partis socialistes, soucieux de réalisme mais hostile au naturalisme, il reste décidément « en marge » des écoles et des courants de son époque, réfractaire jusqu'au bout, même aux définitions. On a longtemps vu en lui l'écrivain de la Commune, soit pour exalter l'écrivain engagé, soit, le plus souvent, pour le vilipender et le traiter en pestiféré de la littérature. Il est certes impossible de méconnaître les risques qu'il assuma dans son engagement politique et de sous-estimer l'importance de la Commune dans son œuvre, mais celle-ci ne se réduit pas à un témoignage, quel qu'en soit l'intérêt historique et humain. Elle ne se conçoit pas indépendamment de l'expérience tout entière de Vallès et de sa personnalité vigoureuse. Ses livres, essentiellement autobiographiques, qui doivent à la révolte leur extraordinaire dynamisme, transmettent moins un document qu'ils n'imposent, avec intensité, une présence et une voix.
Une vie de combat
Jules Vallès, de son vrai nom Vallez, est né au Puy-en-Velay, de parents en rupture de paysannerie. Il eut une enfance malheureuse dont il ne guérit jamais entièrement. Son père a cru voir dans l'enseignement un instrument de promotion sociale, mais celle-ci fut illusoire ; il devint à grand-peine un universitaire besogneux, subissant, tout en bas de l'échelle, le mépris de ses supérieurs, toujours tremblant pour sa place et inquiet pour les fins de mois. Madame Vallez s'efforçait de jouer à la dame ; elle parvenait surtout à se ridiculiser. Des petits-bourgeois donc, qui imposèrent à leurs enfants l'expérience de la misère soigneusement dissimulée et surtout l'expérience de la contrainte : il fallait respecter les règles morales et sociales, se conformer aux préjugés, tenir son rang. Réduits eux-mêmes à la soumission, ils ne pouvaient concevoir l'éducation que sous une forme autoritaire et répressive, et l'enfant en fut la victime. De la famille à l'école, pas de solution de continuité : au collège, il retrouvait son propre père, le même climat, les mêmes oppressions. Son enfance fut sevrée de tendresse et de gaieté, et sa révolte se nourrit de ces besoins inassouvis, de ces énergies refoulées. Elle développa très tôt une attitude d'opposition à la famille et à l'école, assimilées à des prisons, mais aussi à toutes les formes contraignantes de pensée et de vie. Son rêve de liberté trouva un modèle et un aliment dans les séjours à la campagne, chez ses oncles et tantes : la terre devint le lieu de l'authenticité, de l'ouverture et de la cordialité.
Vallès fit de bonnes études mais sans y prendre goût ; il fut un fort en thème malgré lui. Il était, à Nantes, en classe de rhétorique lorsque se produisit la révolution de 1848. Il prit part avec enthousiasme aux manifestations. Son opposition à sa famille et à l'éducation prenait désormais une autre dimension ; le lien entre la révolte personnelle et la révolution n'allait plus se desserrer.
Muni, non sans difficultés, du diplôme de bachelier, il obtint la permission de s'installer à Paris. Il y fut bientôt le témoin plein de rage et d'impuissance du coup d'État et il éprouva le sentiment d'appartenir à « la génération la plus maltraitée de l'histoire ». Il connut quelques années de misère véritable, vivant d'expédients, pratiquant les métiers les plus divers et les plus bizarres. En 1857, son premier livre, L'Argent, attira sur lui l'attention en raison de la virulence[...]
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Écrit par
- Pierre PILLU : professeur agrégé, maître assistant à l'U.E.R. des lettres et sciences humaines de Reims
Classification
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