VERNE JULES (1828-1905)
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Anticipation et prospective
La grande idée de Verne, que Hetzel va l'aider à préciser et à mettre en forme, c'est celle d'écrire le « roman de la science », autrement dit de remplacer le merveilleux des fées par un autre, celui de l'humanité pensante et surtout savante.
L'idée n'est pas nouvelle. On la trouve dès le xviie siècle, dans l'ironie de Perrault à l'égard de la magie, si sensible par exemple dans Cendrillon, et plus nettement encore au xviiie siècle, dans Alphonse et Dalinde, nouvelle d'anticipation avant la lettre de Mme de Genlis, dans les Veillées du château, mais le développement particulièrement rapide des techniques et des sciences, en ce deuxième tiers du xixe siècle, permet une sorte de transmutation de l'utopie. Elle cesse d'être rêverie et se propose comme un passage à la limite à partir des données les plus récentes de la science.
La science constituera la clé et la structure de ces Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus dont la parution régulière va se poursuivre pendant plus de quarante ans – d'abord dans Le Magasin d'éducation et de récréation, revue fondée par Hetzel à l'intention de la jeunesse, puis en volumes de format in-12 et in-8, reliés en toile, la très fameuse reliure dite « au phare » ou « au dirigeable », très recherchée par les bibliophiles : une centaine de volumes, dont une dizaine posthumes.
Le premier mérite de Jules Verne, qui a fait de lui l'auteur favori des « culs-de-plomb » (suivant sa propre expression), c'est de faire voyager son lecteur, à une époque où les voyages restent encore exceptionnels. Ses héros parcourent le monde, terres proches ou lointaines, régions moins connues ou tout à fait inconnues, forêts vierges, grands lacs africains, étendues glacées de la calotte polaire. Mais il ne s’agit là que d'une des dimensions du voyage. L'exploration de l'univers se poursuivra dans d'autres directions : fonds sous-marins, couches élevées de l'atmosphère, espaces infinis du cosmos, abîmes souterrains qui mènent au « centre de la Terre ».
Œuvres didactiques, ces voyages ménagent malgré tout une part importante à l'imaginaire. Les données scientifiques sont traduites en action, transformées en péripéties qui menacent ou facilitent les entreprises des personnages. Ainsi, dans le Voyage au centre de la Terre, Verne expose en somme les hypothèses formulées à son époque sur la constitution du globe, les ères géologiques, les animaux préhistoriques ;cependant, au lieu de les présenter sèchement, il les convoque à leur heure, comme des aventures (rencontre effective de monstres antédiluviens) qui maintiennent le « suspense » du récit.
L'écrivain par surcroît fait intervenir des machines, anticipations qui, le plus souvent, précèdent de peu la réalité et qui se bornent à extrapoler les résultats les plus avancés obtenus par un certain nombre de recherches de pointe (le Nautilus du capitaine Némo dans Vingt Mille Lieues sous les mers, la « maison à vapeur » dans le roman du même nom, l'Albatros de Robur le Conquérant, etc.). Il s’agit en somme d’une véritable épopée dont le héros est l'homme de science, géographe, botaniste, physicien, chimiste, astronome, mathématicien et, d'une manière plus générale, ingénieur ou chercheur.
La lutte qui intéresse le plus Jules Verne, c'est celle que l'homme mène contre la nature. Mais l'homme ne saurait mener seul la grande entreprise de « se rendre comme maître et possesseur de la nature ». Il ne peut donc pas se désintéresser des problèmes que pose l'organisation ou la réorganisation de la société. Cette vérité s'impose très tôt à l'artiste, que son époque d'ailleurs sensibilise à « l'éveil des nationalités ».[...]
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Écrit par
- Marc SORIANO : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur émérite à l'université de Paris-VII-Jussieu
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Médias
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