BENDA JULIEN (1867-1956)
Un clerc
Pour lui, le métaphysicien, l'artiste et, pourvu qu'il trouve sa joie dans l'exercice (non pas dans les résultats) de la science, le savant, tels seraient les clercs de la cité moderne. Docile aux lois, qu'il accepte de subir, mais sans jamais leur permettre de mordre sur son esprit ou d'obnubiler son jugement, le clerc rend à César ce qui est à César, à savoir « sa vie, mais pas plus ». Quant à son droit de dire, quant à son devoir de publier sans fard ce qu'il a pensé librement, pour rien au monde il ne les aliénerait. Dussent en souffrir leurs patries respectives, les clercs se doivent et leur doivent la vérité ; temporel ou spirituel, chaque fois que le pouvoir y commettait une injustice, Montaigne, Montesquieu, Voltaire ou Zola n'élevaient-ils pas la voix pour condamner leur « patrie » ? Benda prit parti pour Dreyfus, les républicains espagnols, les Abyssins, le socialisme, mais sans jamais s'aveugler sur les crimes perpétrés au nom des causes les plus justes. Il n'a jamais trahi, lui. L'expression « trahison des clercs » a fait fortune ; c'est à qui l'emploiera, mais chaque fois avec le même contresens. Pour Benda, qui s'en expliqua longuement, le clerc trahit quand, au lieu de dire toute la vérité, sans souci des conséquences, il transige avec le temporel et, dans l'intérêt de la stratégie ou de la tactique, milite, c'est-à-dire aliène sa liberté souveraine de juger, de condamner. « Engagé », par conséquent, pour reprendre un mot à la mode (que déjà Montaigne s'appliquait), mais non point engagé comme ce J.-P. Sartre, qui, pour ne pas faire aux communistes la moindre peine, choisit de se taire au congrès de Vienne, en 1952, quand Staline prétendait que des médecins juifs complotaient de l'assassiner. Dès 1926, Éleuthère déplorait que l'humanité quasiment tout entière fût devenue « laïque », clercs y compris, qui tous acceptent les adages du traître : le romain (salus populi suprema lex esto) ; le yanqui (my country, right or wrong) ; le barrésien (la patrie eût-elle tort, il faut lui donner raison). La France, l'humanité comptaient pour lui beaucoup moins que la vérité.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- ETIEMBLE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
Classification
Autres références
-
REFUS ET VIOLENCES (J. Verdès-Leroux) - Fiche de lecture
- Écrit par Jacques LECARME
- 1 646 mots
Il faut d'abord saluer le travail énorme, méthodique et maîtrisé de Jeannine Verdès-Leroux, qui entreprend, avec Refus et violences (Gallimard), de brosser le tableau d'une génération d'écrivains d'extrême droite. Personne, avant elle, n'avait inventorié cette masse de...