GRACQ JULIEN (1910-2007)
Mort à Angers, le 22 décembre 2007, Julien Gracq, pseudonyme de Louis Poirier, est né le 27 juillet 1910 à Saint-Florent-le-Vieil, en Maine-et-Loire. Agrégé d'histoire et de géographie, il enseigne cette discipline, principalement au lycée Claude-Bernard, jusqu'à sa mise à la retraite en 1970. Cette carrière d'enseignant est interrompue par la guerre. Louis Poirier est prisonnier de juin 1940 à février 1941. Parallèlement, l'écrivain Julien Gracq élabore son œuvre. Il obtient en 1951 le prix Goncourt, qu'il refuse, pour Le Rivage des Syrtes.
Palimpsestes
Julien Gracq est vraisemblablement l'écrivain contemporain qui suscite le plus de malentendus depuis ses débuts. Son premier livre, un roman (Au château d'Argol, 1939), paraît la même année que La Nausée : d'emblée, Gracq est hors de toute mode, et, comme son ouvrage est immédiatement salué par André Breton, un premier malentendu s'instaure : désormais, l'adjectif « surréaliste » sera très fréquemment associé à son nom. Gracq a été un compagnon de route du surréalisme, il ne s'est jamais associé aux textes collectifs ; en revanche, il a exprimé à plusieurs reprises une grande admiration pour André Breton, sur lequel il a écrit un essai qui est un bel acte d'indépendance. Dans les années cinquante, en pleine période du nouveau roman, l'écrivain paraît académique à une critique qui se veut également « nouvelle ». La narration expérimentale n'est pas son domaine ; il n'en possède pas moins une stratégie, énoncée dès la fin de l'Avis au lecteur du Château d'Argol : « De même que les stratagèmes de guerre ne se renouvellent qu'en se copiant les uns les autres [...], il semble décidément ratifié que l'écrivain ne puisse vaincre que sous ces signes consacrés, mais indéfiniment multipliables ». L'œuvre de Gracq peut être envisagée comme une vaste répétition, dans le sens kierkegaardien de reprise et de renaissance ; ou comme un palimpseste recouvrant des textes effacés, transformés.
Au château d'Argol est un premier exemple de « palimpseste », qui superpose des textes divers, tous du xixe siècle : Edgar Poe (La Chute de la maison Usher), Wagner (Parsifal), Balzac (Beatrix) et, si le nom d'Argol se trouve sur les cartes, il a été choisi parce que, par métathèse, il provient aussi du plateau d'Orgall, sur lequel est bâti le château des Carpathes. Gracq procède toujours ainsi. Pour Le Roi Cophetua (1968), il s'appuie sur un tableau du peintre préraphaélite Burne-Jones, King Cophetua and the Beggar Maid, dont le sujet provient d'une allusion dans Roméo et Juliette déjà exploitée par Jean Lorrain dans La Princesse des chemins. Gracq double l'œuvre de Burne-Jones d'une gravure de Goya, inverse la composition du peintre, qu'il présente elle-même comme une Annonciation à l'envers, et joue implicitement, à partir de la couleur sombre du roi, sur l'expression de « beau ténébreux », qui lui a servi de titre pour son deuxième roman. Tout récit gracquien est la reprise de récits antérieurs, le travail de l'écriture se réalisant par la transformation, ou l'enfouissement, de textes antécédents.
Monsieur de Phocas, de Jean Lorrain, développe un lieu commun fin de siècle : la décollation des « jolies et longues aristocrates ». En 1945, Gracq publie « Robespierre », un poème dans lequel il opère un transfert des vierges aristocrates à de jeunes hommes graciles, ennemis de l'aristocratie, que sont censés être les révolutionnaires, créant ainsi une figure androgyne ambiguë dans laquelle le texte de Lorrain est retourné comme un gant. Le Rivage des Syrtes (1951) renoue avec ce thème. Vanessa ressemble à une « reine au pied de l'échafaud », mêlant la « beauté fugace d'une actrice » à la « beauté[...]
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Écrit par
- Jean-Louis LEUTRAT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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