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GREEN JULIEN (1900-1998)

L'écriture du secret et de l'aveu

Ce Journal, Green a commencé à le publier dès 1938. Les pages des premiers volumes sont devenues plus nombreuses lors des rééditions, mais le tri est resté sévère, écartant surtout les aventures charnelles et, plus tard, les expériences mystiques. Dans ses pages intimes comme dans ses romans, Green reste l'écrivain du secret. Il note « la couleur du temps » (anecdotes, vie quotidienne, événements historiques), il savoure les heures claires où se passent tant de choses et si peu de faits, il cherche à « emprisonner avec des mots l'instant qui passe » (17 février 1943). Si intéressants que soient les passages concernant les lectures, les voyages, les amitiés et l'élaboration des œuvres, les plus personnels évoquent soit l'enfance de Green, soit ses déchirements entre l'aspiration à une vie exclusivement spirituelle et les exigences du désir. « Des deux personnages qui nous habitent (les deux hommes dont parle saint Paul), chacun veut accomplir sa destinée et arriver à une sorte de perfection, au plus haut point de perfection qu'il lui soit donné d'atteindre, mais il est nécessaire pour cela que l'un de ces personnages tue l'autre, car il ne peut y avoir entre eux d'accord durable » (9 avril 1944).

Suppressions et réticences limitent le Journal au point que, pour dire sa vérité, pour savoir qui il est, Green, dans sa maturité, trouve plus satisfaisants les romans et les drames (à partir des années 1950, il écrit aussi pour le théâtre, vers lequel Louis Jouvet souhaitait le pousser depuis longtemps). Un descellement s'y opère. L'obsession homosexuelle y déploie son cortège de fantasmagories, de frôlements, d'espoirs fous et de désespoirs sans recours. Dans Sud (1953), le lieutenant Ian, à la veille – au sens propre – de la guerre de Sécession, provoque en duel celui qu'il aime pour se faire tuer par lui ; dans ce drame, comme dans des romans aussi prenants que Moïra (1950) et Chaque homme dans sa nuit (1960), le protagoniste, à la fois obsédé et obsédant, suscite plus ou moins l'amour de tous ceux qui l'approchent, hommes et femmes. Mais on y trouve aussi des amours partagées (par exemple entre Wilfred et Phœbé, dans Chaque homme dans sa nuit, séparés, il est vrai, par l'obstacle de l'adultère), des conversions salvatrices (comme celle d'Élisabeth dans L'Ennemi, 1954) et, surtout, des êtres dont la vie se fonde sur l'amour pour Dieu (comme Joseph Day, le protestant fanatique de Moïra, meurtrier par pureté, ou comme Wilfred, déjà nommé, fier d'être catholique romain, qui, avant de mourir, pardonne à son assassin). Les problèmes vécus par Green reçoivent une expression bouleversante ; ainsi, l'analyse du Journal citée à la fin du paragraphe précédent devient ce cri déchirant de Joseph Day dans Moïra : « Je désire horriblement ce péché que je ne commets pas [...] J'ai quelquefois l'impression d'être séparé d'avec ma chair, et c'est comme s'il y avait en moi deux personnes dont l'une souffrirait et l'autre regarderait souffrir. »

Un écrivain aussi soucieux de se comprendre devait aboutir à l'autobiographie. Il présente sa vie jusqu'à la dix-septième année dans Partir avant le jour (1963), son engagement dans l'armée américaine en Europe de 1917 à 1919 dans Mille Chemins ouverts (1964), ses années d'études en Virginie de 1919 à 1922 dans Terre lointaine (1966), son retour à Paris, sa prise et ses crises de conscience jusqu'à sa rencontre en 1924 avec Robert de Saint Jean, la plus constante affection de sa vie, dans Jeunesse (1974). Si Green laisse le plus possible la parole à l'enfant, puis au jeune homme dans leur découverte de la vie, émerveillée et angoissée, l'adulte mûri par l'expérience écrit[...]

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Écrit par

  • : agrégé des lettres, ancien professeur de première supérieure au lycée Henri-IV, Paris

Classification

Média

Julien Green - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Julien Green

Autres références

  • LÉVIATHAN, Julien Green - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 761 mots

    D'origine américaine, Julien Green (1900-1998) est un grand écrivain français difficile à classer : dominée par le thème du salut, son œuvre romanesque se construit en même temps que son œuvre théâtrale et que le plus long journal de l'histoire de la littérature, puisqu'il court de 1919 à 1998....

  • MYSTIQUE

    • Écrit par
    • 8 636 mots
    • 2 médias
    Ces événements privilégiés se retrouvent ailleurs que dans la vie mystique. Ainsi, par exemple, le moment que Julien Green décrit dans son Journal, et qui rejoint le « sentiment océanique » de Romain Rolland : « 18 décembre 1932. Tout à l'heure, sous un des portiques du Trocadéro, je m'étais arrêté...