GREEN JULIEN (1900-1998)
Le choix de l'isolement
Au cours du dernier quart du siècle, Green va se montrer étonnamment actif, bien qu'il perde les deux personnes liées à lui depuis ses débuts littéraires : sa sœur Anne en 1979 et Robert de Saint Jean, « l'ami des bons et des mauvais jours », en 1987. Après cinquante-six ans de fidélité aux éditions Plon, le voici au Seuil, qu'il laisse bientôt pour Fayard, avec lequel il rompt en 1998 pour rejoindre Gallimard. Il quitte l'Académie française, songe même à abandonner la France pour l'Italie, ou pour l'Autriche (où il sera enterré), ou pour quelque autre pays, car il voyage avec acharnement, désireux de connaître de nouveaux lieux, ou de revoir ceux qu'il a aimés. Plus il vieillit, plus il publie, parfois dans des genres nouveaux : par exemple, Frère François (1983), biographie détaillée de saint François d'Assise, « l'homme qu'[il a] toujours le plus admiré », et, après quelques pièces et récits qui prolongent sans l'égaler sa production antérieure, un roman-fleuve inattendu formé par Les Pays lointains (1986), Les Étoiles du Sud (1989) et Dixie (1995), où revit toute une préhistoire familiale autour de la guerre de Sécession. Que de surprises pour ses fidèles ! Lui qui écrivait difficilement cinquante lignes par jour, il écrit facilement en peu de temps des milliers de pages ! Lui qui regrettait que l'inspiration de Dostoïevski et de Dickens baisse quand ils multiplient les personnages, il se lance dans une fourmillante chronique où pullulent bals et banquets, où une histoire de pirates se glisse entre des remariages, où le mélodramatique et la prolixité remplacent le tragique et la densité !
Green reste égal à lui-même dans son Journal, particulièrement émouvant quand il se recueille lors de l'anniversaire, chaque année plus éloigné, de la mort de sa mère, dont il dit, après quatre-vingts années de séparation, qu'elle est la personne qui a le plus compté dans sa vie. Rédigé à partir de 1919, ce Journal couvre presque la totalité du xxe siècle, ce qui lui vaut une place à part dans la littérature. Comment résumer les traits qu'il donne à la figure de Green ? Dans le paysage littéraire du xxe siècle, c'est un auteur isolé, et qui veut rester isolé. Il a fréquenté Malraux, Cocteau, Mauriac, surtout Gide, et plus encore Maritain, mais a toujours refusé de s'engager, aussi bien du côté de Gide avant 1939, que du côté des écrivains catholiques après son retour à l'Église. Green a dès sa jeunesse cherché passionnément à savoir qui il était ; à plus de quatre-vingt-dix ans, il considère toujours cette question comme la plus importante pour lui ; le dernier tome de son Journal s'intitule même Pourquoi suis-je moi ? (demande déjà lancée par Ian dans Sud et, avant lui, par Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir). Hanté par le monde invisible, il est aussi infiniment touché par la beauté du monde sensible ; au titre du tome VIII, Vers l'invisible, répond le titre du tome XI, La Terre est si belle... Grave et tourmenté, il fait souvent aussi preuve d'humour : « J'ai parfois le sentiment de vivre dans un roman de Julien Green et mon inquiétude croît de jour en jour » (28 août 1993). Il ne cesse de se dire double (ou deux), mais on peut lui appliquer une remarque de Nina Berberova dans C'est moi qui souligne : « La personnalité soi-disant coupée en deux constitue en fait, au plus profond d'elle-même, une unité organique bipolaire. »
Green est aussi un auteur isolé dans le domaine de la forme. La transparence de son style, sa simplicité, sa pureté indémodable le distinguent d'autres grands écrivains tels que Bernanos ou Mauriac, Malraux ou Sartre, immédiatement reconnaissables par une couleur, un accent, des partis pris. On pourrait dire que le style de Green excelle[...]
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Écrit par
- Jean SÉMOLUÉ : agrégé des lettres, ancien professeur de première supérieure au lycée Henri-IV, Paris
Classification
Média
Autres références
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LÉVIATHAN, Julien Green - Fiche de lecture
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MYSTIQUE
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