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TORMA JULIEN (1902-1933)

Ni homme de lettres ni poète (c'est lui qui s'en défend), aventurier, un peu voyou, cynique, à l'instar de Rimbaud qu'il admire et dont le rapprochent d'autres penchants, Julien Torma laisse une œuvre écrite nombreuse pour une si brève existence, et des plus hétéroclites au double sens du mot : diverse et anomale. On le sait né à Cambrai, d'un père d'origine hongroise ; il anagrammatisera son nom comme l'avait fait le peintre Tarom (Charles), un des exposants du salon des Incohérents en 1887. Ce jeu lui plaisait : « Tomar/marto/t'amor/A mort », et il ne manquera pas de rencontrer Marot : « Marot nié m'a rogné. » Sa mère, devenue veuve, trouve ses ressources chez un chapelier, habile en calembours et contrepèteries, et qui transmet très tôt à l'enfant le goût des jeux de langage. Accident, suicide ou fuite au bout du monde, Torma disparaît au Tyrol, à trente et un ans, dans des circonstances non élucidées, au cours d'une promenade en montagne ; curieusement, ultime hommage à « l'enfant aux semelles de vent », c'est de Vent, en Autriche, qu'il s'en va pour toujours.

Ses œuvres juvéniles se ressentent de l'air du temps et des premières lectures : Rimbaud, Corbière, Laforgue, Apollinaire, Dada. Il en réunit une bonne part dans son initial recueil portant le millésime de 1920 : La Lampe obscure, qui se veut chrétien, autant que l'est Max Jacob dont, à dix-huit ans, il se fait l'ami. Aussitôt après, tout bascule. D'un bond, Torma atteint les sommets de la Pataphysique, et certains le tiennent dans la connaissance et la pratique de cette science pour supérieur même à Jarry. Si peu littérateur qu'il se veuille, il n'ignore rien de Robert Desnos, René Crevel, René Daumal, Rober Gilbert-Lecomte, du surréalisme ; ni de Lautréamont, Mallarmé, Jarry ; il navigue à son aise aussi bien dans l'Antiquité grecque et latine que dans la philosophie et le romantisme allemands ; de sa solide formation religieuse, il tire des armes redoutables ; ses exercices sur les mots (dans Le Grand Troche, daté de 1925, et, posthumes Porte battante et Lebordelamer) laissent derrière eux Rose Sélavy et Michel Leiris. Il est le Jacques Vaché de la génération pataphysicienne des années 1950, qui se nourrit à ses Euphorismes publiés un an après Le Grand Troche, mais Jacques Vaché survit par sa seule attitude ; Torma, qu'il l'ait ou non voulu, vit, en plus, par une œuvre et cela suffit à son existence présente. Ses pièces : Coupures, Lauma Lamer, contemporaines des Euphorismes, Le Bétrou, sont les parfaits modèles de la modernité au théâtre, brassant toutes les innovations dramatiques, de Dada à Vitrac, d'Artaud et Beckett à Vian, Ionesco, Dubillard et à nos plus proches contemporains.

Sur Julien Torma, sont à consulter avant tout les Cahiers 7 (sept. 1952) et 8-9 (déc. 1952) du Collège de Pataphysique. Une personnalité si variée appelait la supercherie : une pseudo-thèse parue chez l'éditeur Nizet, Julien Torma (1972), vise à lui attribuer les productions secrètes de plusieurs auteurs célèbres et comporte en annexe de faux documents, du reste expertement fabriqués.

— Noël ARNAUD

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