JULIETA (P. Almodóvar)
Dans l’histoire du cinéma, il existe peu de parcours que l’on puisse comparer à celui de Pedro Almodóvar. En effet, soit les cinéastes liés à un mouvement d’idées ou de mode sombrent dans l’oubli, soit ils se figent en représentants d’une époque donnée. Lié au mouvement de la Movida au point d’être pratiquement identifié à lui, Almodóvar a réussi à le dépasser, sans le trahir : chez lui, le bariolage est devenu recherche esthétique, l’anarchie du cadre une géométrie savante, les excès du mélodrame et de la comédie sont maintenant retenue, voire pudeur. S’il fallait résumer l’évolution du cinéaste, on pourrait dire que jamais il n’a renoncé à ce qu’il a pu être : dans une démarche de plus en plus rigoureuse, il a simplement ajouté des qualités à celles qui existaient déjà, rebelles, chez le bouillant débutant. Cet artiste généreux et ouvert additionne, accumule, met en ordre, mais n’exclut rien. Si bien qu’on ne s’étonnera pas d’une autre métamorphose : le cinéaste jadis marginal est devenu un grand cinéaste populaire, dont les œuvres ont à la fois de quoi combler le cinéphile à la pointe de la recherche, et de quoi faire trembler ou pleurer Margot.
Une disparition
Julieta (2016) s’inscrit pleinement dans cette réconciliation des (faux) contraires. Par-delà Les Amants passagers (Los amantes pasajeros, 2013), qui paraissait revenir à la loufoquerie provocante et pleine de nonsense des débuts, ce film creuse le sillon le moins baroque du mélodrame almodovarien : celui dont La Fleur de mon secret (La flor de mi secreto, 1995) ou Parle avec elle (Hable con ella, 2002) représentaient déjà la pleine expression. Julieta a vu un jour disparaître sa fille, Antía, sans aucune explication. Des années durant, elle a tenté de se reconstruire sans jamais pouvoir donner une réponse à ce manque ; or, voilà qu’une rencontre fortuite la remet sur la piste d’Antía, qui a refait sa vie ailleurs… Le cinéaste s’approprie ici un univers littéraire déjà existant, comme il l’avait déjà fait avec Ruth Rendell (En chair et en os [Carne tremula], 1997) ou Thierry Jonquet (La piel que habito, 2011). Cette fois, ce sont trois nouvelles de la Canadienne Alice Munro qu’il fusionne en un seul scénario implacablement construit.
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
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Média