CORTÁZAR JULIO (1914-1984)
La synthèse de l'inconciliable
Dernier Round (Último Round, 1969) représente aussi un approfondissement des conceptions artistiques de Cortázar, puisqu'il y démontre une très bonne maîtrise de la technique du collage et du montage inaugurée dans Marelle et perfectionnée dans Le Tour du jour en quatre-vingts mondes. C'est un mélange d'autobiographie, de réflexions sur les sujets les plus divers, d'essais, contes, poèmes, dessins, photographies et documents de toutes sortes. Le dénominateur commun de ces matériaux est l'insolite, que l'auteur utilise comme moyen de déplacer et déranger le lecteur. Plus directement engagé dans l'actualité que les romans, Dernier Round parle de la misère en Inde, précise les idées de Cortázar sur l'art, la littérature et le rôle de l'écrivain, reproduit les slogans de Mai-1968 en France, etc. Mais cette hétérogénéité n'est pas gratuite : « Il n'est pas rare, dit Cortázar, que [...] la présentation successive de plusieurs phénomènes hétérogènes crée instantanément une saisie des choses d'une homogénéité éblouissante. » L'effet recherché s'apparente à ce qu'il appelle par ailleurs la « coagulation », quelque chose comme la manifestation brève et soudaine d'un ordre caché.
Un rôle assez semblable est assigné également à la poésie, dont Julio Cortázar publie un recueil en 1971, Pameos y Meopas : « ... l'image poétique aussi est re-présentation d'éléments de la réalité usuelle articulés de telle sorte que leur système de relation favorise cette même entrevision d'une réalité autre ». C'est pour des raisons probablement identiques qu'il a inauguré depuis quelques années un procédé nouveau : le texte écrit à partir de photographies ou de dessins, notamment avec Buenos Aires, Buenos Aires (1968), Prosa del observatorio (1972), Silvalande (1975) et Le Bestiaire d'Aloys Zötl (1976). Car il s'agit bien, dans ces œuvres, de textes à partir de et non sur : il n'est pas certain, en effet, que les photographies sur Buenos Aires et sur l'observatoire de Jaï Singh en Inde, que les dessins de Julio Silva et ceux d'Aloys Zötl soient là pour eux-mêmes. Ce sont plutôt des « ponts », des « interstices » ou des « intercesseurs » (pour reprendre des mots de Cortázar) permettant précisément d'accéder à cette « réalité autre », d'atteindre cette fulgurante homogénéité, ce lieu, hors du temps et de l'espace, où s'annulent les contradictions.
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Écrit par
- Jacqueline OUTIN : agrégée de l'Université
- Jean-Pierre RESSOT : ancien maître de conférences, université de Paris-IV-Sorbonne, U.F.R. de langue et littérature espagnoles
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