CORTÁZAR JULIO (1914-1984)
Du conte comme univers parallèle
La transgression des lois du récit trouve donc ses limites dans le Livre de Manuel où, en même temps qu'une évolution des préoccupations de l'écrivain, se laisse entrevoir une stabilisation des procédés d'expression. On verra désormais Cortázar apporter son soutien actif aux victimes de la dictature argentine, à la révolution cubaine, au mouvement sandiniste (Nicaragua si violemment doux, 1983), essayant de concilier cette attitude responsable avec sa liberté d'artiste : « On ne doit pas sacrifier la littérature à la politique, ni banaliser la politique au nom d'un esthétisme littéraire », disait-il vers la fin de sa vie. Refusant l'étiquetage idéologique, il milite surtout pour la défense des droits de l'homme au sein d'organisations comme le Tribunal Russell ou Amnesty International. Il s'essaye bien encore aux jeux surréalistes de naguère, dans un livre insolite, Les Autonautes de la cosmoroute (1983), mais on sent la formule usée et la magie n'opère plus. En revanche, on constate que les contes, qu'il continue d'écrire, auront été la partie la plus stable et solide de son œuvre. Les derniers recueils, Octaèdre (1974), Façons de perdre (Alguien que anda por ahí, 1977), Un certain Lucas (1979), Glenda, nous l'aimons tant (Queremos tanto a Glenda, 1980), Heures indues (Deshoras, 1984), manifestent en effet une nette fidélité à un esprit et une manière qui étaient déjà ceux des Armes secrètes. L'analyse de ces recueils montre évidemment l'abandon de certains traits rappelant par trop la manière de Jorge Luis Borges (visibles notamment dans Fin du jeu) au profit de sujets plus actuels. Mais tous les contes sont construits autour d'une même structure faite d'équilibre entre réalité quotidienne et imaginaire, et les modalités de réalisation passent par des chemins toujours semblables : part importante du jeu à la signification symbolique (« Vientos alisios », « Manuscrito hallado en un bolsillo »), manifestation de forces incontrôlées qui dominent le personnage (« Cuello de gatito negro », « Estío », « En nombre de Boby »), suggestion d'un monde angoissant (« Reunión con un círculo rojo ») qui, maintenant, se confond souvent avec celui de l'oppression politique (« Segunda vez », « Grafitti », « Satarsa »). Chacun de ces récits peut être considéré comme une variation sur un même thème ou, comme le suggère le titre d'un des recueils, l'une des facettes d'un même polyèdre. À l'image de toute l'œuvre de Cortázar, ils sont autant de portes ouvertes sur un autre univers.
Le dernier paradoxe de Julio Cortázar, mort en 1984, est que, ayant passé la plus grande partie de sa vie à Paris, naturalisé français, il n'aura pas cessé pour autant d'être une des expressions les plus pures de la culture argentine.
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Écrit par
- Jacqueline OUTIN : agrégée de l'Université
- Jean-Pierre RESSOT : ancien maître de conférences, université de Paris-IV-Sorbonne, U.F.R. de langue et littérature espagnoles
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