NYERERE JULIUS KAMBARAGE (1922-1999)
Le Tanzanien Julius Nyerere, homme d'État hors du commun, contrastait avec l'image négative que l'on a de la classe politique en général, et dans le Tiers Monde en particulier. Face aux manichéismes et aux dogmatismes ambiants, cet intellectuel, intègre, chrétien, fin politique, détonnait par son esprit libre, ses positions atypiques, ses réussites comme ses échecs.
Né au Tanganyika dans un village riverain du lac Victoria, Julius Nyerere obtient une maîtrise d'histoire à l'université d'Édimbourg (1952). Il doit son surnom de Mwalimu (l'instituteur, en swahili) moins à son bref passé d'enseignant qu'à un style politique. Par sa capacité à mobiliser l'ensemble de la population du pays dans une lutte pacifique pour l'indépendance (1954-1961), il fait de la Tanganyika African National Union une force politique sans rivale. Premier ministre puis premier président à l'instauration de la République (1962), il refuse en 1985 de se représenter puis, en 1990, quitte la présidence du parti (devenu en 1977 le Chama Cha Mapinduzi, « Parti de la révolution »).
Sa vie tant publique que privée est marquée par la fidélité à des principes, essayant constamment d'accorder les idées, les propos et l'action. Il n'était pas facile de construire une société égalitaire, intégrée, solidaire, incarnant le socialisme humaniste qu'il avait trouvé chez les Fabiens plus que chez Marx. Il n'en est pas moins parvenu à construire une conscience nationale transcendant les clivages hérités de l'histoire du pays, en s'appuyant sur un parti certes unique, mais qu'il a toujours voulu pluraliste malgré les pressions de son entourage. Il a donné la priorité au secteur social (éducation, santé) pour approcher cet égalitarisme souhaité et prôné au travers d'une austérité personnelle et d'une politique, l'ujamaa (socialisme et autosuffisance).
La déclaration d'Arusha (1967), fondement de la lutte contre la corruption, est aussi la base de la politique de villagisation (1973-1979), qui fut un désastre économique (chute de la production agricole) et politique, du fait de l'utilisation de méthodes expéditives contraires au pacifisme qu'il privilégiait. Grâce à celui-ci, la décolonisation a été négociée sans violence grave. Son antiracisme sans compromission l'a conduit à condamner dès 1969 toutes les formes de « fascismes noirs », y compris le racisme à rebours. Car l'engagement pour la libération de l'Afrique ne se limitait pas à un soutien actif aux mouvements anticolonialistes, il exigeait la condamnation des dictatures aussi bien que des illusions panafricaines, préférant une approche plus progressive par des regroupements régionaux (Communauté est-africaine). Tout cela contribuera à faire de la Tanzanie un pays respecté et bénéficiant d'une aide internationale importante.
Incorruptible sans doute, il n'en savait pas moins que, pour un politique, la fin peut justifier les moyens, autorisant au gré des circonstances une fermeté inébranlable (engagement militaire en 1979 contre la dictature d'Idi Amin en Ouganda) ou des compromis douteux, comme cette complicité avec Abeid Amani Karume, homme fort de Zanzibar, qu'il va essayer de neutraliser dans l'Union donnant naissance à la Tanzanie (1964). De même, il ne pourra enrayer la montée de la corruption à laquelle il n'est, indirectement, pas étranger. Son anticapitalisme l'a amené non seulement à manquer de discernement dans la villagisation, mais aussi à retarder le plus possible les inéluctables négociations avec la Banque mondiale, aggravant ainsi l'état de l'économie tanzanienne, limitant la marge de manœuvre de son successeur, et permettant aux proches du pouvoir d'organiser à leur profit personnel le démantèlement d'un secteur public qui n'avait pas échappé à la stérilité[...]
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Écrit par
- François CONSTANTIN : professeur des Universités
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