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JUMEAUX (anthropologie)

Dans toutes les sociétés, la naissance de jumeaux est considérée comme un événement singulier, au même titre que d'autres modalités de l'accouchement, telles que la présentation par le siège ou par les pieds (N. Belmont a montré, pour le fonds indo-européen, la relation de cette dernière présentation avec la gémellité) ou la naissance des enfants « coiffés ». La gémellité a donné lieu à des élaborations symboliques qui, malgré leur diversité, présentent certaines constantes. Son importance dans les conceptions de nombreuses sociétés, africaines et américaines surtout, a attiré l'attention des anthropologues et des ethnologues, à la fois en tant que phénomène spécifique et comme indicateur de certains autres aspects de l'organisation sociale. Mais son étude présente des difficultés qui tiennent à ce que la question des jumeaux se trouve directement liée aux conceptions concernant la naissance, la personne, l'hérédité biologique et sociale, ainsi qu'à l'organisation de la parenté (structure et unité des lignages, relations d'alliance) et aux systèmes symboliques (relatifs à la fécondité, aux couleurs, à la perception du temps et de l'espace) d'une société donnée.

Un fait socialement ambivalent

Les représentations, très variables, que se font les différentes sociétés de la naissance de jumeaux doivent être distinguées de l'événement constitué par chacune de ces naissances. Selon le point de vue choisi – discours local ou pratiques effectives –, les naissances gémellaires peuvent être soit valorisées, soit dépréciées. Il arrive ainsi que, dans une même société, les mythes ou les contes célèbrent l'arrivée de jumeaux, alors que la survie de ceux-ci n'est pas assurée – et la chose ne semble pas fortuite – dans la réalité. Une telle naissance a une signification différente suivant qu'elle est envisagée par les parents – soumis à des règles spéciales souvent contraignantes ou coûteuses – ou dans la perspective de l' ordre cosmogonique en fonction duquel une société évalue sa continuité, les jumeaux pouvant représenter l'état originel et idéal de cet ordre.

D'un point de vue comparatiste, on peut construire une échelle où figureraient, à une extrémité, certaines sociétés qui associent la gémellité à la fécondité et aux entités extra-humaines, et pour lesquelles, le groupe de parenté mis à part, les jumeaux sont bienvenus et, à l'autre extrémité, des sociétés qui accordent au phénomène gémellaire une valeur symbolique moindre et qui l'éludent même par la mise à mort, active ou passive, de l'un des jumeaux, ramenant ainsi la gémellité à la normalité d'une naissance unique. Par ailleurs, dans les premières sociétés, le rituel qui est mis en œuvre lors de la naissance et qui réglera éventuellement l'existence entière des jumeaux (ou de l'un d'eux) et des géniteurs (ou de l'un d'eux) revêt des formes variables : il peut ainsi être centré sur la mère, comme chez les Ndembu (Zambie), ou sur les deux parents plutôt que sur les jumeaux eux-mêmes. En fait, une réelle ambivalence caractérise presque universellement les attitudes qu'adoptent, dans la circonstance, les diverses sociétés.

Une naissance gémellaire constitue une perturbation à la fois dans l'ordre social et dans l'ordre symbolique ; elle manifeste un excès inattendu, qu'il convient de traiter rituellement. Cet excès introduit le désordre dans la chaîne de filiation ainsi que dans les positions respectives des aînés et des cadets (on se demandera, question majeure dans des sociétés fortement structurées par le rang d'âge, qui est l'aîné ; ici, c'est le premier des jumeaux, ailleurs le second). Aussi doit-on trouver pour cette naissance surnuméraire (où le multiple s'oppose à l'un) une explication[...]

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