JUMEAUX (anthropologie)
Naissances multiples redoutées
L'ambivalence à l'égard de la gémellité penche parfois vers un pôle nettement négatif : dans certains groupes africains, on ne trouve pas de jumeaux adultes, car à la suite des naissances gémellaires l'un des deux enfants a été mis à mort, ou bien exposé à une sorte d'ordalie passive. Jumeaux de même sexe et jumeaux de sexe opposé font souvent l'objet de traitements distincts. Les Bari d'Afrique orientale, par exemple, épargnent les jumeaux de sexe différent, mais, dans un couple de même sexe, ils n'accordent qu'à un seul des deux enfants le droit de survivre. Les Hottentots, en revanche, tuaient, dans un couple mixte, le nourrisson de sexe féminin. Bien qu'il faille toujours se garder de négliger les données biologiques et écologiques (par exemple, l'incapacité à nourrir deux nouveau-nés), la disparition d'un des jumeaux peut être obtenue soit par le fait qu'on ne s'occupe plus de lui, soit par sa mise à mort, comme chez les Kikuyu ou les Kaguru de l'Est africain. Quoi qu'il en soit, la pratique la plus courante consistait à revenir au schéma de la naissance simple par élimination de l'enfant « en trop », avec des variations qui ne sont pas nécessairement en relation avec les structures de parenté. Aussi est-il difficile d'interpréter selon une perspective comparatiste les attitudes d'un groupe culturel face à la gémellité. On ne peut les comprendre que structurellement, dans leurs rapports avec trois niveaux, au moins, de l'organisation sociale : le pouvoir, la parenté, la religion (« divinités » et entités non humaines, « esprits », « génies »). La forclusion du phénomène gémellaire trouve une première explication dans la théorie des taxinomies traditionnelles : les jumeaux sont hors classe, deux pour la place d'un seul, et par là ils appartiennent aux catégories du « monstrueux » incluant, comme l'a montré M. Douglas, tous les phénomènes que l'excès ou l'anomalie de leurs attributs rendent impossibles à classer. Ne pouvant être « bons à penser » en vertu de leur excès, les jumeaux ne peuvent être admis qu'au prix de leur réduction et de leur réintégration dans un ordre de places assignables. Dans cette logique, l'attitude négative n'entraîne pas nécessairement la solution extrême de la suppression physique d'un individu, mais souvent elle associe la gémellité à une atmosphère de danger ou de pollution et à tout un dispositif d'interdits rituels.
Dans les sociétés comportant une structure hiérarchisée et centralisée autour de la royauté, la gémellité est fréquemment mise en relation avec celle-ci, ainsi qu'avec la divinité. Ainsi, pour les Alur de l'aire bantoue, la royauté puise son origine dans un couple gémellaire mythique, tout comme les règnes humain et animal proviennent d'une paire gémellaire homme-animal. Cette proximité des jumeaux avec la divinité suprême et avec la source du pouvoir permet de comprendre en partie certaines ambiguïtés des attitudes bantoues à l'égard de la gémellité. Chez les Nyoro (Ouganda), la naissance de jumeaux, tout en étant accueillie avec joie, représente un grave danger, spécialement pour les parents et pour les grands-parents maternels (les importantes dépenses entraînées par les rituels appropriés contribuent aussi au fait qu'on appréhende un tel événement). En tant qu'individus, les jumeaux sont considérés comme facteurs de troubles et comme des êtres dangereux. Aussi observe-t-on fréquemment l'obligation de les traiter de façon identique ; tout déséquilibre mettrait en danger les jumeaux et par conséquent leurs proches. Chez les Kukuya (Congo), en particulier, on veille à ne jamais les mécontenter, de peur qu'ils n'en meurent. Chez les Nyoro, les parents sont soumis à des obligations contraignantes : à des réclusions temporaires,[...]
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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